22 nov. 2008

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L'ORGUE DE BARBARIE
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M. Lépine a l’intention, dit-on, de supprimer l’orgue de Barbarie. *


Et pourquoi, barbare préfet,
Supprimer, je vous prie,
Avec son homme et son barbet,
L’orgue de Barbarie ?

A part qu’il fait hurler les chiens,
Je n’ai jamais ouï-dire
Que nos braves Parisiens
Aient voulu le réduire.

Vous n’avez pas jusques ici
Une bien bonne presse…
Pour moi, ce m’est un grand souci
Que l’orgue disparaisse.

Tenez : d’ici j’en entends un,
Au moment que je cause ;
Et bien loin de m’être opportun,
Il berce ma névrose.

Comme je fus toujours ravi
Par la musique triste,
Pour le moment je suis servi
D’autant mieux qu’il insiste.

C’est un de ces vieux instruments
Parmi les plus rebelles,
Avec trois notes seulement ;
Mais ce sont les plus belles !

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Ses ressorts semblent fatigués,
- Et donc plus respectables,
Il me moud les airs les plus gais,
C’est dire lamentables.

Et pendant qu’aux courses d’Auteuil,
Tout un public se noie,
Tranquillement dans mon fauteuil,
Je nage dans la joie !

Il est des opéras hideux
Dont j’aime quelques notes ;
Donc, si l’orgue perd une ou deux,
Au moins, de ses quenottes,

Il me parait moins importun,
Moins dur et tyrannique,
Qu’un orchestre ou simplement qu’un
Piano mécanique.

*

Ce n’est pas aux quartiers fringants
Riches, remplis de morgue,
Non plus aux faubourgs élégants,
Qu’on jouit de cet orgue ;

Mais bien dans les faubourgs déserts,
Sinon dans les banlieues.
C’est là qu’il moud ses plus beaux airs,
Et ses romances bleues.

Voilà, je crois, son vrai décor
- disons
Raffaëlliste. -
( C’est ainsi que le son du cor
Dans les bois seuls existe. )


En été, sous le ciel de feu,
Avec quelle indolence
Il ronronne ! On dirait qu’il veut
Dorloter le silence.


Il semble l’âme des pavés ;
Il vous prend aux entrailles…
Et puis, après tout, vous savez :
Raille, ma foi, qui raille !

Mais, en hiver, y pensez-vous ?
Hélas ! quelles misères !
Quand on l’entend grelotter sous
Une porte cochère !

*

Quoi donc, en ces orgues, vous nuit,
O préfet trop rigide ?
D’aucuns même ne font nul bruit,
Car ils tournent… à vide.

Enfin, sans vouloir vous blâmer,
Il est un tas de choses
A Paris, qu’on peut supprimer
Avant eux, et pour cause…


RAOUL PONCHON

le Journal
20 04 1908
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