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SUR LA MORT D’ARSENE HOUSSAYE
SUR LA MORT D’ARSENE HOUSSAYE
J’ai vu, le bicorne en bataille,
Un gendarme de corbillard
Trimballer comme une futaille
Un jeune et beau défunt vieillard
A peine âgé de seize lustres,
Hélas ! Et non des moins illustres,
Qui sut sans efforts ni douleurs
Descendre le cours de la vie,
L’âme en toutes choses ravie,
Mollement, en bateau de fleurs.
Vraiment, il serait trop baroque
Que je pleurasse ton trépas,
O vieillard ! D’ailleurs Jules Roques
Pour pleurer ne me paye pas.
Et puis, si sur la Terre immonde,
Le seul bonheur est d’être au monde
Qui donc fut plus heureux que toi ?
Pourquoi te plaindrai-je ? Au contraire
Si le bonheur gît sous la terre
Tu l’es plus encore, alors quoi ?…
Dès son enfance saine et sauve
Tu sus, ayant formé ce vœu,
Empoigner l’occasion chauve
Par son unique et seul cheveu.
Toujours tu fus veinard, en somme ;
Toujours coula la forte somme
Entre tes doigts épiscopaux,
Et, quelque ait été ton commerce,
Chez toi les ors plurent à verse
Comme chez Zola les crapauds.
Un atroce désir de plaire
Te fit des amis par monceaux ;
Tu ne connus pas la colère
Contre les mufles et les sots.
Le cœur et la poche faciles
Tu perpétuais ces bacilles
Assez désinvolturément ;
Et tout ce bouillon de culture
Te payait d’un - par aventure -
« Il est charmant ! il est charmant ! »
Or Badinguet vint, tel Malherbe.
Il fut l’homme qu’il te fallait,
Le César futile et superbe,
Ton Messie et ton Paraclet.
S’il n’était pas venu, peut-être
Que ç’aurait pu te compromettre,
Mais il vint !… tableau des tableaux !
S’exila la Mélancolie.
Et qu’est-ce que fit la Folie ?
Ben, elle agita… ses grelots.
Tes salons furent sous l’Empire
Illustrés de ce que Paris
Comptait de meilleur et de pire.
Tu n’avais pas de parti pris.
Les Fleury et les Niewerkeke
Venaient tout exprès de Dunkerque
Chauffer à ton feu leurs bastaux,
Et débiter des mièvreries,
Même à tes petites chéries
Parmi tes fleurs et tes cristaux.
Ta capricieuse narine
Reniflait avec volupté
Les femmes de toute farine
Qui se ruaient à ton côté.
Allant tour à tour des gonzesses
Aux indiscutables duchesses
Qui se disputaient ton mouchoir,
Tu pouvais voir par ribambelles
Les plus belles, les plus rebelles,
Entre tes bras et laisser choir.
La voilà l’existence folle !
Horace coupé de Lauzun.
Certes, ton époque frivole
Tu la vécus comme pas un.
Et, pour me servir d’une image
Qu’il serait à coup sûr dommage
De laisser plus longtemps moisir :
Couronné de lys et de roses,
Tu noyas les soucis moroses
Dedans la coupe du plaisir.
D’une plume soporifère
Tu faisais des livres, mais tu
Pouvais aussi bien n’en pas faire.
C’eût été trop de vertu.
Hélas ! cette littérature
Qui n’était d’aucune lecture
Semble bien n’avoir occupé
Que quelques prêtresses du ventre,
Et du diantre en quelque sorte, entre
Deux séances de canapé.
Peu combatif de ta nature
Tu rompis des lances fort peu
Au temps où la littérature
Comme un seul homme allait au feu.
Pour n’abîmer point ton physique
Tu t’étais mis dans… la musique.
Un certain talent d’amateur
Fit que l’inconsolable veuve
Qui répond au doux nom de Beuve
S’écria : « Bravo l’amateur ! »
Rien qu’à voir cette liste folle
De tes sombres in-octavo,
Cela vous flanque, ma parole,
Un élancement au cerveau.
Et quand il s’agit de les lire
On tombe alors dans le délire :
Personne encore n’a résisté.
Vraiment, par Vénus immortelle !
On este frayé d’une telle
Inféconde fécondité.
Si tu ne fis pas à la Muse
Quelque bel enfant bien portant
Maintes fois, d’un doigt qui l’amuse,
Tu sus la duper un instant.
Mais la garce est une gaillarde
Qui entre les bras ne s’attarde
De qui ne sait pas la dompter.
Et ce n’est pas une caresse
Qui la rendra votre maîtresse,
Il faut plus long lui en conter.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
1896
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