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CHEZ LA REINE RANAVALO
Un hôte chez toi,C’est Dieu sous ton toit.
(Dicton arabe)
Le temps de dire : « Allô, allô !
Est-ce que la reine est rentrée ? »
Et je fus chez Ravanalo,
Notre petite séquestrée.
Pour elle, le gouvernement
Ne s’est guère - entre parenthèses -
Fendu que d’un appartement
Avec un fauteuil et trois chaises.
Ils ont dépouillé sans merci
Sa pauvre Majesté malgache,
Soi-disant au nom de la ci-
Vilisation, cette vache !
Ils lui ont à la fois tout pris :
Son firmament et son royaume,
Et son argent et ses grigris,
Tant qu’elle n’a plus un atome.
Ils lui ont dit, ces fins lascars :
« Il te faut changer de patrie ;
Ton pays, c’est Madagascar,
Donc, on t’envoie en Algérie. »
Et quand la pauvrette devient
Momentanément notre hôtesse,
Ils trouvent encor le moyen
De la traiter sans politesse.
Ils te la flanquent ru’Pauquet !
Dans un garni de troisième ordre,
Au-dessus d’un mastroquet.
En vérité, c’est à les mordre.
L’hospitalité la voilà,
La voilà bien ! charmante et drue.
Sans compter que ce Pauquet-là,
Qui donne son nom à la rue,
Qu’était-il, en somme, au total ?
Un législateur d’Angoulême ?…
Un conseiller municipal ?…
Vous voyez, on ne sait pas même.
Enfin !… tout ce que j’en dirais
Ne changerait rien à la chose.
Mais sa Majesté m’apparaît
Et tout de suite m’en impose.
C’est une petite aux traits secs,
Plus noire que la blanche hermine,
Et des dents plein le bec, avec
Une intention de poitrine.
Elle me dit : « Bonzour, moussé !
Ze suis contente, bien contente…
Et me présente, comme il sied,
Rainazindrazanea, sa tante.
Elle aime le vin plus que l’eau,
Et me dit boire avec ivresse
Le chablis de son bistro,
Et l’obélisque l’intéresse.
Elle trouve tout « pas mauvais »,
Zentil Decrais, Footitt agile…
Son garni lui semble un palais,
Et Paris une belle ville.
Au bout d’une heure de caquet,
De causerie à l’aventure,
Je vis que l’heure s’avançait
De sa promenade en voiture.
Je ne voulus pas insister.
Je pris mon chapal et ma lyre,
Mais, auparavant que la quitter :
« Pourriez-vous, lui dis-je, me dire
De tout ce que jusqu’à présent
Vous avez vu dans ce voyage,
Quoi vous a paru plus plaisant,
Et vous a charmé davantage ? »
Elle se recueillit un peu,
Tandis que son sourcil se fronce,
Et puis - j’en suis encore bleu -
Elle me fit cette réponse :
- « Mon Dieu, ce qui m’a le plus plu,
C’est d’apprendre, par la chronique,
Que Monsieur Rostand est élu
Président de la République. »
RAOUL PONCHON
Le Journal
03 juin 1901
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