21 oct. 2008

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LA ROBE DE LA REINE
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La « Presse » a ouvert une souscription
Pour offrir une robe à la reine Ranavalo.

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La reine était obsédée
Par l’idée
De s’en aller de Paris
Sans pouvoir d’une toilette
Faire emplette,
D’une robe « dernier cri ».

Car elle n’a, dans sa bourse,
De ressource
Que le Diable, ainsi que moi.
Cependant, comme elle est femme,
Et, dans l’âme,
Coquette, ça va de soi,

Elle passait ses journées
En tournées
Chez nos plus rares faiseurs,
Qui sont des impératrices,
Des actrices…
Les bienheureux fournisseurs,

Voulant, dûment avertie,
- Quoi qu’on die, -
Tout au moins se rincer l’œil
Avec toutes leurs merveilles,
Non pareilles,
Dont elle fera son deuil.



Dans des salons de lumières,
Les « premières »,
Avec des gestes mutins,
Manipulaient devant elle
Des dentelles
Et de fabuleux satins ;


Lui chiffonnaient de la soie
Qui chatoie,
Lui montraient des mannequins
Parées de robes de fées
Paraphées
Par les Doucet, les Paquins…


Elle passait là des heures
En des leurres,
Le cœur sans dessus dessous :
« La foire est d’autant plus belle,
- Disait-elle, -
Quand on y vient sans le sou… »

Hélas ! l’État, quoique riche,
Est bien chiche,
Qui ne veut point acheter
Une robe à cette reine
Dont la peine
Fait mal à voir. Sans compter…

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Tout d’abord, à qui la garde
En mansarde,
On s’adressa. C’est Decrais,
Qui, de par le Protocole,
Se désole
De n’en point faire les frais.


« En vérité, je la gobe.
Une robe !
Hé ! comme elle y va ! mais si
J ‘avais - dit cet hydrophobe -
Une robe,
Je ne serais pas ici… »

On fut chez d’autres pontifes.
Mais, ces chiffes,
Ne voulurent rien savoir.
Malgré cela, pauvre reine
Sans domaine,
Ta robe, tu vas l’avoir.

Tu la trouveras, j’espère,
Non vulgaire,
Mais d’un charme essentiel,
Plus que n’importe laquelle,
D’autant qu’elle
N’aura rien d’officiel.
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Elle tiendra du prodige.
Ah ! que dis-je ?
Elle passera, bien mieux,
Jusqu’en ses moindres parcelles,
Toutes celles
De dames de ces messieurs.


RAOUL PONCHON
Le Journal
24 juin 1901
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