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" L'AIGLON "
..
Je ne sais rien encore,
Et fort je le déplore,
De l’ « Aiglon » de Rostand ;
Mais, nonobstant,
Puisque chacun en parle
De Paris jusqu’à Arle,
J’en veux parler aussi ;
Car, Dieu merci,
Jamais je n’aimai guère,
Ainsi que le vulgaire
Me faire remarquer :
C’est trop risquer.
Faisons quelque lumière,
Avant cette première,
(Plus de place aux bureaux)
Sur ce héros
Choisi par le poète
Et que, pour notre fête,
Notre grande Sarah
Incarnera.
Ce jeune Aiglon, en somme,
Etait le Roi de Rome,
Et le fils, sauf erreur,
De l’Empereur
Dont je n’ai nulle envie
De raconter la vie :
Il n’en est temps ici.
Disons ceci :
Qu’après bien des victoires,
Plus ou moins transitoires,
Il est mort en exil
Un jour d’avril.
Or, ledit Roi de Rome,
Puisqu’ainsi on le nomme,
Avait quelque trois ans,
Disent les gens,
Quand, avecque sa mère
Il fut chez son grand père,
Celui qu’on dénommait F -
rançois Joseph.
Ce titre : Roi de Rome,
Chiffonnait le bonhomme ;
« De Rome suis-je roi,
- Disait-il - moi ?
Cela ne veut rien dire
D’abord, pour qui sait lire… »
Lors, il le nomma duc,
Voire archiduc.
Un peu plus tard, le gosse,
D’un appétit féroce,
Ayant en vérité
Fort bien tété,
Au dire des nourrices,
Excellentes génisses,
Il en fit bien et bel
Un colonel.
Colonel ! à son âge !
C’était d’un bon présage,
Cela laisse à penser,
A supposer
Que si le destin glabre
N’avait, de son grand sabre
Ses jours interrompu,
Il aurait pu,
Avec de la conduite,
Devenir par la suite,
Non pas tant général
Que caporal.
*
* ...*
Quand son Aigle de père
Mourut, l’Aiglon précaire
Avait, depuis longtemps,
Toutes ses dents.
Il vivait, seul et morne,
Dans un ennui sans borne,
Au milieu des forêts,
Suivi de près
Par la police en règle ;
Car, comme on craignait l’Aigle,
Jadis, de même l’on
Craignait l’Aiglon.
Pendant quelques années,
Traînant ses destinées,
Il - dans sa cage d’or -
Languit encor ;
Puis succomba, phtisique
Chez un peuple hérétique,
Au milieu de manants,
A vingt-un ans !
Tel fut, de ce Tom Pouce,
Si j’en crois mon Larousse,
Le sort calamiteux
Et maupiteux…
Oh ! Je m’inquiète
Pas pour notre poète ;
Il aura su corder
(Hé ! hé ! « corser »
N’est pas dans une armoire)
Cette menue histoire
Qu’on applaudit lundi,
Pardon… jeudi.
RAOUL PONCHON
Le Journal
12 mars 1900
.
Je ne sais rien encore,
Et fort je le déplore,
De l’ « Aiglon » de Rostand ;
Mais, nonobstant,
Puisque chacun en parle
De Paris jusqu’à Arle,
J’en veux parler aussi ;
Car, Dieu merci,
Jamais je n’aimai guère,
Ainsi que le vulgaire
Me faire remarquer :
C’est trop risquer.
Faisons quelque lumière,
Avant cette première,
(Plus de place aux bureaux)
Sur ce héros
Choisi par le poète
Et que, pour notre fête,
Notre grande Sarah
Incarnera.
Ce jeune Aiglon, en somme,
Etait le Roi de Rome,
Et le fils, sauf erreur,
De l’Empereur
Dont je n’ai nulle envie
De raconter la vie :
Il n’en est temps ici.
Disons ceci :
Qu’après bien des victoires,
Plus ou moins transitoires,
Il est mort en exil
Un jour d’avril.
Or, ledit Roi de Rome,
Puisqu’ainsi on le nomme,
Avait quelque trois ans,
Disent les gens,
Quand, avecque sa mère
Il fut chez son grand père,
Celui qu’on dénommait F -
rançois Joseph.
Ce titre : Roi de Rome,
Chiffonnait le bonhomme ;
« De Rome suis-je roi,
- Disait-il - moi ?
Cela ne veut rien dire
D’abord, pour qui sait lire… »
Lors, il le nomma duc,
Voire archiduc.
Un peu plus tard, le gosse,
D’un appétit féroce,
Ayant en vérité
Fort bien tété,
Au dire des nourrices,
Excellentes génisses,
Il en fit bien et bel
Un colonel.
Colonel ! à son âge !
C’était d’un bon présage,
Cela laisse à penser,
A supposer
Que si le destin glabre
N’avait, de son grand sabre
Ses jours interrompu,
Il aurait pu,
Avec de la conduite,
Devenir par la suite,
Non pas tant général
Que caporal.
*
* ...*
Quand son Aigle de père
Mourut, l’Aiglon précaire
Avait, depuis longtemps,
Toutes ses dents.
Il vivait, seul et morne,
Dans un ennui sans borne,
Au milieu des forêts,
Suivi de près
Par la police en règle ;
Car, comme on craignait l’Aigle,
Jadis, de même l’on
Craignait l’Aiglon.
Pendant quelques années,
Traînant ses destinées,
Il - dans sa cage d’or -
Languit encor ;
Puis succomba, phtisique
Chez un peuple hérétique,
Au milieu de manants,
A vingt-un ans !
Tel fut, de ce Tom Pouce,
Si j’en crois mon Larousse,
Le sort calamiteux
Et maupiteux…
Oh ! Je m’inquiète
Pas pour notre poète ;
Il aura su corder
(Hé ! hé ! « corser »
N’est pas dans une armoire)
Cette menue histoire
Qu’on applaudit lundi,
Pardon… jeudi.
RAOUL PONCHON
Le Journal
12 mars 1900
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