17 sept. 2008

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LE VRAI BONHEUR,
C'EST D'ÊTRE HEUREUX
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La Muse à Bibi
A. Gill
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Quand un roi nous rend visite,
Et Dieu sait s’il nous en vient !
Remarquez : sans qu’il hésite,
Il trouve tout beau, tout bien.

Pendant des heures d’horloge,
On le trimbale partout.
Il ne tarit pas d’éloges
Sur tout ce qu’il voit, sur tout.

L’état de notre voirie
Lui semble prodigieux
Et tenir de la féerie.
Il n’en peut croire ses yeux.

Il peut faire un temps de truie,
Il n’en perdra pas un pas ;
Il parait que notre pluie
Ne le mouille du tout pas.

De même, cette ardeur folle
Au travail des terrassiers
Terrassant la métropole,
Il la sait apprécier.


Il approuve les statues
Dont ce brave Dujardin,
A tour de bras, s’évertue
A populer nos jardins.
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La mode parisienne,
Bien entendu, l’éblouit ;
Il voudrait la faire sienne,
La faire adopter chez lui.

Tout ce qu’il boit, ce qu’il mange,
Dans le monde officiel,
Il le dit cuit par les anges
Et vendangé par le ciel.

Et que s’il fume un cigare
De la Régie, au dessert,
A son voisin il déclare
Qu’il est fameux et pas cher.

Va-t-il à la comédie,
Il s’endort -s’il a sommeil.
Ce n’est pas qu’il en médie,
Car il exulte - au réveil.

Il admire nos édiles,
Ainsi que nos cheminots,
Nos excellents quinze mille
Et le jeu de nos impôts

Il trouve que Marianne
Est plus belle que jamais
Et plus svelte que Diane,
Qui chasse sur les sommets.


Et l’antique pousse-pousse
Qu’on nomme char de l’État,
Et qui n’avance d’un pouce,
Lui semble un… aérostat !

Enfin, il nous considère
Comme le peuple le plus
Enviable de la terre,
L’élu parmi les élus.

Ah ! si Dieu ne l’eût fait naître
Monarque (il le dit fort bien),
A coup sûr, il voudrait être,
Chez nous, simple citoyen.


Serait-ce le protocole
Qui le fait parler ainsi ?
Non. Croyons-le sur parole,
Tout en nous disant ceci :

« En vérité, si nous sommes
Un peuple heureux à ce point,
Il est bizarre qu’en somme
Nous ne nous en doutions point. »


RAOUL PONCHON
Le Journal
19 oct. 1910

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