15 sept. 2008

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BORDEAUX CHINOIS
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Il parait qu’ils ont un vin en Chine qui ressemble au Bordeaux !
Journaux

Me suis-je pas laissé dire
Que dans le Céleste Empire
Ils avaient, sur leurs coteaux,
Une généreuse vigne
Qui fournissait un vin digne
De nos suaves bordeaux ?

Mâtin ! du médoc, du graves !
Ça n’est pas du jus de rave.
Mais on pourrait s’enquérir
Si ce ne sont pas ces blêmes
Et jaunes Chinois eux-mêmes
Qui feraient ce bruit courir.

Les graves, médocs, sauternes,
De ce pays de lanternes,
Je ne les vois pas, et vous ?
Tout au plus si je devine
Ce qu’est leur Château-Karbine
Ou leur Château-Fou-Tchéou !…

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*... *
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C’est ainsi qu’en Allemagne
On vous parle d’un champagne
Qui vaut le nôtre et qui n’a
De nom dans aucune langue,
Mixture anémique, exsangue,
Plus qu’un air d’ocarina !

D’autres encor pochetées,
En ce même ordre d’idées,
Nous avaient déjà parlé,
Sans qu’aucun respect les lie,
D’un bourgogne d’Australie
Digne d’un roi de Thulé.

De même aussi, les bonhommes
Normands disent vin de pommes
De leur cidre boréal.
Hier, un bistro frénétique
Inscrivait sur sa boutique :
« Bouillon et bœuf de… cheval. »

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* ...*



Pareillement, j’imagine
Fort peu de bordeaux de Chine.
J’admets qu’elle ait, de hasard,
Un vin plus ou moins notoire,
Et, qui sait ? se laisse boire,
Mais se peut boire - sans art.


Oh ! Je me trompe peut-être.
Avant que de le connaître,
Je n’en veux dire trop rien.
Cela me vaudrait des noises
Des populaces chinoises.
Je n’y tiens pas. Sachez bien

Que dernièrement encore,
Ignorant, pauvre pécore,
Le vin de Monbazillac,
Qui, pourtant, est vin de France,
J’en parlai sans révérence,
Comme on fait de l’eau d’un lac.


Or, pour cet écart de plume,
J’en pris un peu pour mon rhume.
Je fus traité d’Iroquois,
Avec plus ou moins de grâce,
Pour mon ignorance crasse,
Par les Monbazillacois.

Depuis, à ce vin notable
J’en fait amende honorable.
C’est là du vin de rajah,
Qui, je le dis sans vergogne,
De moi ferait un ivrogne
Si je ne l’étais déjà.


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* ...*



Non, mais voyez-vous la Chine
Qui me tombe sur l’échine ?…
C’est quelque chose, je crois.
Car, je n’en veux rien rabattre
Ils sont, si ce n’est plus, quatre
Cent millions de Chinois.


RAOUL PONCHON
le Journal
02 sept. 1910

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