.
SAID ALI
(ORIENTALE)
Saïd Ali, sultan de la Grande-Comore,
Montre plus de vertu.
Vas-tu pleurer toujours, sous ce vieux sycomore,
Ton royaume perdu ?
Tu régnais, après tout, sur d’absurdes Malgaches
Et des Cafres affreux
Si j’en crois mon Larousse - et sur un tas d’apaches
Qui se mangeait entre eux.
Qu’est-ce aussi que tu vas nommant Grande-Comore ?
Ce n’est pas le Pérou…
C’est un pays malsain, sans culture ni flore,
Un marécage, un trou,
Où on l’on voit galoper, en manière de lièvres,
A travers les marais,
Des choléras-morbus, des pestes et des fièvres.
- Certes, à beaucoup près,
- Duras-tu, mon pays est moins grand que le vôtre,
Plus malsain . Eh bien, oui !
Mais quoi ! C’est mon pays, je n’en connais point d’autre,
Et j’en reste ébloui !
« Je trouve également que plus il est minime,
Plus il a d’horizon.
Que si tu me le prends, ô France magnanime,
C’est une trahison. »
Je le crois comme toi qu’elle se déshonore ;
Mais il faut lui céder.
La France a des raisons que la raison ignore
De te déposséder.
Résigne-toi pourtant. Si ton sort est précaire,
Les Français sont humains
Disent-ils - alors donc tu ne peux tomber guère
En de meilleures mains.
Et plus j’y réfléchis, moins je te trouve à plaindre.
A partir d’ aujourd’hui
Si nous te protégeons tu n’as plus rien à craindre,
Pour bercer ton ennui.
Tu viendras visiter nos continents énormes,
Tu verras nos cités.
Laissant là ta Comore et ses peuples difformes
Tu verras nos beautés !
Tu pourras,ô Saïd ! De l’un à l’autre pôle
A l’aise te mouvoir
Sans plus jamais sentir poser sur ton épaule
Le fardeau du pouvoir.
Si ça te chante aussi, tu peux être notre hôte.
Alors, tout ébahi,
Tu ne te feras plus une idée aussi haute
De ton sacré pays.
Comme tu n’es pas riche, aux fins de tes bamboches,
Notre gouvernement
Te munira toujours de vaisselle de poche,
Si ton tempérament
Est excessif, chez nous les blondes et les brunes
Foisonnent, Dieu merci !
Préfères-tu des négresses, couleur de prunes,
Nous en avons aussi ! »
Et lorsque tu verras luire sur ta poitrine
Le signe de l’honneur !
« J’ignorais - tu diras, en fronçant ta narine,
Jusqu’ici le bonheur ! »
Et, pendant ce temps-là, tu peux être tranquille,
Nos merveilleux colons
Avec un zèle ardent dessècheront ton île,
Ce ne sera pas long.
J’y vois déjà d’ici superbement éclore
La vigne et le froment…
Tu pourras être fier alors de ta Comore,
Si tu l’aimes vraiment.
Et plus tard, ô Saïd Ali, qui sait ? Peut-être
Tu béniras ton sort
Si le Gouvernement Français veut te permettre
De la recouvrer, mort !
RAOUL PONCHON
Le Journal
08 avril 1907
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire