1 sept. 2008

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PRIERE
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Seigneur, délivrez-nous des mouches...
Des puces... et des tigres louches
Du jour ! du silence, du bruit,
De la tempête et de la nuit.
Des accidents, des maladies,
Des cyclones, des incendies,
Du chaud, du froid, de l'eau, du feu,
Des rails, des flots, des plots, des pneus,
Du gel, du vent et de la pluie,
Du commerce, du jeu, de l'or,
Du gain bien plus féroce encor ;
Des Juifs, des francs-maçons, des prêtres,
Des sycophantes et des traitres,
Des proprios et des huissiers,
Des débiteurs, des créanciers,
Des flics, des cochers, des concierges,
Des vieux-messieurs, des demi-vierges,

Des journalistes, des journaux,
Des magistrats, des tribunaux,
Des avocats, des morticoles,
Des préjugés, des protocoles,
Des chapelles et des écoles,
Des esthètes, de l'art nouveau,
Du vers libre à tête de veau,
Des psychologues, modernistes,
Des hommes d'esprit, des bavards,
Des échotiers de boulevards,

Des gens qui content une histoire
Pendant trois quarts d'heure sans boire,
Des laudateurs du temps passé,
Des palabreurs en A B C ;

Des derniers salons où l'on cause,
Des raseurs tels Machin... Chose...
Des dîners à prix fixe, des
Dîners en ville commandés
Des dîners avec des tziganes...
Des princes turcs, des courtisanes...
Où l'on s'ingère du Rigo
Sans même un ail dans le gigot !
Des cigares de la régie,
De l'atroce démagogie,

Des prix de vertu, des records,
Du faux, du fard, du toc des sports
Anglais, et des Anglais eux-mêmes,
Des mardi-gras, des mi-carêmes,
Des trous pas chers, des casinos,
Des pianos pour les Gounods,
De la camellote allemande,
Des vrais pouacres, des faux cocus,
Des coupeurs en quatre d'écus,
Des trop pauvres et des trop riches,
Des ferlampiers, des merlifiches,
Des marchands de soupe, des pions,
Des adorateurs de lampions,
Des guignols aux salles infectes
Où s'épuisent les architectes,

Des affreux salons picturaux
Nommés la mort-des blaireaux,
Du qu'en dira-t-on de la mode,
De notre costume incommode,
Pantalons, faux-cols et gibus...
Des intérieurs d'omnibus ;
De Bérenger, de la censure,
De la critique sans fressure,
De la peste, du choléra,
Et coetera, et coetera.



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Seigneur du cèdre et de l'hysope,
Héméralope et nyctalope,
Autant nous délivrer de tout
Pendant que vous êtes debout.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
05 oct. 1902




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Oraison du soir
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Je vis assis, tel qu’un ange aux mains d’un barbier,
Empoignant une chope à fortes cannelures,
L’hypogastre et le col cambrés, une Gambier
Aux dents, sous l’air gonflé d’impalpables voilures.

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Tels que les excréments chauds d’un vieux colombier,
Mille Rêves en moi font de douces brûlures :
Puis par instants mon cœur triste est comme un aubier
Qu’ensanglante l’or jeune et sombre des coulures.

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Puis, quand j’ai ravalé mes rêves avec soin,
Je me tourne, ayant bu trente ou quarante chopes,
Et me recueille, pour lâcher l’âcre besoin :

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Doux comme le Seigneur du cèdre et des hysopes,
Je pisse vers les cieux bruns, très haut et très loin,
Avec l’assentiment des grands héliotropes.

Arthur Rimbaud
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