3 sept. 2008

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LES FOUS ET LES AUTRES
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Un docteur américain cons-
tate la proportion d'un aliéné
pour cent cinquante doués de
ce que nous appelons la raison.

Journaux


Statistique éloquente !
Nous serions - paraît-il -
Un fou pour cent cinquante
Doués d'esprit subtil.

Proportion immense !
Démente floraison !
Mais, sit-on où commence
Et finit la raison ?

Vingt mille donc nous sommes
Aux cerveaux rabougris,
Sur trois millions d'hommes
Que l'on compte à Paris !

Proportion petite,
Et bonne pour ici,
O docteur émérite !
Il n'en va pas ainsi

Au pays de Vespuce,
Où l'on trouve des fous
Tout autant que de puces.
Tu te moques de nous.

En revanche, à la Chambre,
Ils sont - dirait Mardrus - *
Trois membres et un membre
Aliènés, pas plus.

O savant lunatique !
Tu ne les connais pas ;
Sans quoi ta statistique
Reculerait d'un pas.


Ah ! la belle fichaise !
Sur les six cents qu'ils sont,
Cinq cent quatre vingt seize
Jouiraient de leur raison !

Tu veux rire, sans doute ?
Si tu les rencontrais
Une fois sur ta route,
Qu'est-ce que tu dirais ?

Il faudrait en rabattre.
Sache que, sur six cents,
Ils sont tout au plus quatre
Sensés et bien pensants.

Mais, laissons ce vulgaire.
Je veux m'en rapporter
A ta sinistre enquerre,
D'où semble résulter

Que chez nos bons quarante
Académiciens,
La raison est flagrante...
Dieu reconnait les siens.

Ils sont la grande classe,
Ce qu'il y a de mieux,
Puisqu'il n'est point de place
Pour un fou parmi eux.


Si l'on les assimile
A de simples mortels,
Ils sont donc, sur six mille,
Triés, ces Immortels !

Statistique éloquente !
Il faudrait, voyez-vous,
Qu'ils fussent cent cinquante,
Pour jouir d'un beau fou.

Leur façon est polie,
D'ailleurs ; mais, en tout cas,
Quelque grain de folie
Ne lui messiérait pas.


RAOUL PONCHON
le Journal
11 oct. 1904
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