1 août 2008

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QUI N’A PAS SON PETIT IMPOT ?
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Ainsi, c’est justement à l’heure
Atroce que nous traversons,
Où tout nous manque, où tout nous leurre,
Où nos vignes et nos moissons

Cèdent à la fureur des astres,
Dans les vallons, sur les sommets,
Où nous prévoyons des désastres
Comme on n’en vit de tels jamais ;

C’est à cette époque alarmante,
Où tout est sens dessus dessous,
Où l’on se plaint que tout augmente,
Où le pain d’un sou vaut deux sous

Où bientôt ce sera prodige
De dégager l’X d’un repas ;
C’est à cette heure même, dis-je,
A la veille d’un branle-bas,


Que, sur je ne sais quelle grève,
L’inexorable Cochery
Dorlote sa chimère et rêve
De nouveaux impôts, le chéri !
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*... *


Vous nous disiez, bons chasseurs : Certe
La viande devient hors de prix ;
Mais, puisque la chasse est ouverte,
A nous les lièvres, les perdrix !

Le péril n’est donc pas extrême,
Et que si trop cher est le pain,
Nous le remplacerons de même
Par de bons pâtés de lapin.

Bien sûr. Mais il faut vous résoudre
A payer au grand manitou
Des finances deux fois la poudre,
Car ce brave homme pense à tout.

Et toi, le fervent de la Gaule
Egalement tu pensais bien
Taquiner, à l’ombre d’un saule,
Des goujons ne te coûtant rien.

Hélas ! pauvre ami, quelle dèche !
Avant que de prendre un goujon,
As-tu réglé ton droit de pêche ?
Tant par hameçon, tant par jonc.

Par-dessus le marché, t’estime
Heureux si tu ne paies encor
Un grain de blé cuit un centime,
Et chaque asticot son poids d’or !


Si bien que ta friture, en somme
(Je ne compte pas le persil),
Te coûtera la forte somme.
Qu’est-ce que tu veux… c’est ainsi.

Tandis que l’Église elle-même
Ne veut qu’un jeûne limité,
Cochery rêve d’un carême
Perpétuel - pour ta santé.

Avant qu’il soit longtemps, je pense,
Du train où il va, tu pairas
Une importante redevance
Sur l’air que tu respireras ;

Tu la pairas d’un geste alerte,
D’ailleurs sans protestation ;
Ta bourse est-elle pas ouverte
A toute réquisition ?

En attendant, fume ta pipe…
Encore que, tu le sais bien,
Le tabac, chez nous, par principe,
Coûte très cher et ne vaut rien.


RAOUL PONCHON
le Journal
15 août 1910


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