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CHEMINEAUX
.en chemineaux pendant les vacances.
Journaux
Or, cinq ou six jeunes mylords,
S’embêtant malgré leurs trésors,
Trouvaient le monde absurde. Alors
Il leur prit cette folle envie
De tâcher à gagner leur vie,
Au moins quelques mois. Œuvre pie !
Ils trouveraient bien, chaque jour,
A s’embaucher çà et là, pour
Les semailles ou le labour,
Et donc, sans plus tarder, ils troquent,
- pour ne prêter aux équivoques -
Leurs beaux habits contre des loques
En sempiterne, et voilà nos
Gentilshommes originaux
Déguisés en bons chemineaux.
Un joli temps de demoiselle,
Au départ, stimula leur zèle.
On leur eût cru des pieds d’oiselle.
Mais le soir, bonsoir ! Leurs fémurs
N’étant pas encore assez mûrs,
Pour de longs circuits hors des murs,
Ils connurent la courbature,
Rêvant déjà d’une voiture
Pour franchir l’étape future.
C’est là qu’il est plus dur, en effet,
De faire un chemineau parfait
Qu’un sous-préfet, même un préfet !
*
* ...*
Enfin, après une ripaille
De pain et quelque cochonnaille,
Ils couchèrent dans de la paille,
Sur laquelle, ils dormirent donc
Mieux que sous un mil édredon,
Comme des lords… des loirs - pardon !
Puis, tout reposés, dès l’aurore,
Quand claironna le coq sonore,
On les vit cheminer encore.
Eux, qui ne savaient pas bouger
Sans un chauffeur, sans un cocher,
Ils prirent plaisir à marcher.
Eux-mêmes ! Et, par aventure,
Les merveilles de la nature
Qu’ils ne connaissaient qu’en peinture,
Les spectacles prestigieux
Qu’offre la terre sous les cieux,
Charmaient et façonnaient leurs yeux,
Comme si c’était la première
Fois qu’ils s’ouvraient à la lumière.
Supposez, en quelque manière,
Des gens, qui sortent de prison
Voyant tout à coup l’horizon
S’ouvrir devant eux, à foison.
Et, dès la première semaine,
Ils crièrent au phénomène.
L’univers était leur domaine.
Ils faisaient fi de leurs palais,
De leurs châteaux, de leurs valets ;
Ils ne traînaient plus ces boulets.
Ils n’avaient déjà plus mémoire
De leur fortune transitoire.
C’ était là de la préhistoire.
A ce sport, petit à petit,
Ils retrouvèrent l’appétit,
Le bon sommeil, et tout pardi !
Ils auraient pu bouffer des briques,
Coucher dans de vieilles barriques,
Comme des poètes lyriques.
Enfin, on dit que ces mylords,
Dont on ne sait rien depuis lors,
Courent toujours, s’ils ne sont morts.
RAOUL PONCHON
Le Journal
04 août 1913
Journaux
Or, cinq ou six jeunes mylords,
S’embêtant malgré leurs trésors,
Trouvaient le monde absurde. Alors
Il leur prit cette folle envie
De tâcher à gagner leur vie,
Au moins quelques mois. Œuvre pie !
Ils trouveraient bien, chaque jour,
A s’embaucher çà et là, pour
Les semailles ou le labour,
Et donc, sans plus tarder, ils troquent,
- pour ne prêter aux équivoques -
Leurs beaux habits contre des loques
En sempiterne, et voilà nos
Gentilshommes originaux
Déguisés en bons chemineaux.
Un joli temps de demoiselle,
Au départ, stimula leur zèle.
On leur eût cru des pieds d’oiselle.
Mais le soir, bonsoir ! Leurs fémurs
N’étant pas encore assez mûrs,
Pour de longs circuits hors des murs,
Ils connurent la courbature,
Rêvant déjà d’une voiture
Pour franchir l’étape future.
C’est là qu’il est plus dur, en effet,
De faire un chemineau parfait
Qu’un sous-préfet, même un préfet !
*
* ...*
Enfin, après une ripaille
De pain et quelque cochonnaille,
Ils couchèrent dans de la paille,
Sur laquelle, ils dormirent donc
Mieux que sous un mil édredon,
Comme des lords… des loirs - pardon !
Puis, tout reposés, dès l’aurore,
Quand claironna le coq sonore,
On les vit cheminer encore.
Eux, qui ne savaient pas bouger
Sans un chauffeur, sans un cocher,
Ils prirent plaisir à marcher.
Eux-mêmes ! Et, par aventure,
Les merveilles de la nature
Qu’ils ne connaissaient qu’en peinture,
Les spectacles prestigieux
Qu’offre la terre sous les cieux,
Charmaient et façonnaient leurs yeux,
Comme si c’était la première
Fois qu’ils s’ouvraient à la lumière.
Supposez, en quelque manière,
Des gens, qui sortent de prison
Voyant tout à coup l’horizon
S’ouvrir devant eux, à foison.
Et, dès la première semaine,
Ils crièrent au phénomène.
L’univers était leur domaine.
Ils faisaient fi de leurs palais,
De leurs châteaux, de leurs valets ;
Ils ne traînaient plus ces boulets.
Ils n’avaient déjà plus mémoire
De leur fortune transitoire.
C’ était là de la préhistoire.
A ce sport, petit à petit,
Ils retrouvèrent l’appétit,
Le bon sommeil, et tout pardi !
Ils auraient pu bouffer des briques,
Coucher dans de vieilles barriques,
Comme des poètes lyriques.
Enfin, on dit que ces mylords,
Dont on ne sait rien depuis lors,
Courent toujours, s’ils ne sont morts.
RAOUL PONCHON
Le Journal
04 août 1913
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