19 juil. 2008

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THEATRE EN PLEIN AIR
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Huit ménages, trente-cinq enfants sont recueillis par M. de la Rochefoucauld.
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C’est un vrai décor de théâtre
Boulevard Lannes, à Passy,
Que ce petit hôtel bleuâtre.
Et c’est bien un théâtre aussi.

Trente-cinq enfants, huit ménages
Sur deux étages seulement
Y figurent des personnages
Dans le plus affreux dénûment.

Vous voyez, tassés aux fenêtres,
Ces pauvres êtres terrassés,
En angoisse mortelle d’être
D’un moment à l’autre expulsés.

Ils le seront, n’en doutez mie,
Ils devront ailleurs se pourvoir,
Car la Loi est leur ennemie.
Pour bercer un temps leur espoir.

Çà et là, maints placards barbares
Conspuent le président Monier…
Cris impuissants ! Fureurs bizarres !
C’est qu’ils n’auront pas le dernier…

Les précédents propriétaires
De ces « huit tribus » d’occupants,
N’en voulurent pour locataires,
Parce qu’ils avaient trop d’enfants !


En ces époques horrifiques,
Les proprios sont rigoureux,
Et les ménages prolifiques
Sont indésirables pour eux.

Donc, on voyait ces jours encore
Ces miséreux sur le pavé,
Quand un beau matin, à l’aurore,
Ils se crurent du coup sauvés :

Un gentilhomme au nom sonore
Leur abandonnait en détail
Un hôtel dont, nul ne l’ignore,
Il avait dix-huit mois de bail.

Or, le sombre propriétaire
Dudit ne voulait pas loger
De misérables prolétaires
Qui pouvaient bien tout saccager.

Son immeuble aristocratique
Il n’admet guère y recevoir
Que la noblesse authentique !
Ah ! son immeuble, il faut le voir !

Mais la petite tribu veille ;
Les cinquante hospitalisés
N’entendent pas de cette oreille,
Ils ne cèderont qu’épuisés.

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* ...*



Et la foule, sans cesse accrue,
Devant l’immeuble en question,
Dès le potron-jaquet se rue,
Heureuse de l’occasion.

Vrai théâtre en plein air pour elle,
D’autant que souvent le Raffût
De Saint-Polycarpe s’en mêle,
Qui vient égayer la tribu.

Et voilà trois jours que ça dure,
Et l’on se demande vraiment
Comment finira l’aventure,
Quel en sera le dénouement ?

Le dénouement ? C’est la police,
C’est le commissaire, l’huissier,
Qui tantôt entreront en lice,
A moins que ce soient les pompiers !

Et nos huit tribus, par la Ville,
S’en iront derechef, errant,
Et ce serait du vaudeville,
Si ça n’était pas si navrant !


RAOUL PONCHON
Le Journal
28 juillet 1913


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