23 juil. 2008

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Interview avec Marie 1er
Pas de Sedangs !
Jacques

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MOI

O Marie, ô mon roi ! Monarque immarcescible,
Ta parole est ma bible,
Et ton silence est plus musical, à mon sens,
Même que du Saint-Saëns ;
Ta dextre n’a d’égale en ce monde terrestre
Que ta male sénestre ;
Ton front, bien que cerclé d’un soleil qui reluit,
Brille encor plus que lui ;
Ton cœur, pour tes sujets, dont le nombre est immense,
Sans doute est tout clémence,
Et tu répands sur eux en tourbillons épais
L’abondance et la paix…
A propos, dis-moi donc où perche ton royaume ?
Quel en est l’idiome ?
Est-ce dans le pays sublime où vola Puck ?
Est-ce le volapuk
Qu’on y parle ? Ou l’argot des vaches espagnoles
Ainsi qu’à Batignolles ?
Est-il au coin du quai ? Près de Pontoise, ton
Royaume ? À Charenton ?
Ou bien de ta cervelle où bout l’enthousiasme
N’est-il qu’un vain fantasme ?


LE ROI


Mon royaume ? Tu veux, à défaut de le voir,
Du moins le concevoir ?
Tu n’as qu’à demander à la Géographie.

MOI

Bah ! Qui diable s’y fie
A ta Géographie ? Un lot de vieux papas…
Est-ce qu’elle n’est pas
Essentiellement matière à controverse ?
Ondoyante et diverse ?
Un empire aujourd’hui s’élève, surhumain,
Qui va crouler demain ;
Voilà des Prussiens - n’est-ce pas fort cocasse ? -
Qui réclament l’Alsace,
Et voici des Français dont l’unique souci
Est de l’avoir aussi ;
On trouve à chaque instant des îles en litige ;
Pour un fêtu, te dis-je,
Combien d’Etats par jour se trouvent envahis ?
Et combien de pays,
En Afrique, pour nous que le progrès décore,
Ne sont pas nés encore ?
Donc, ta Géographie est bête comme tout
Et ne tient pas debout :
Il faut incessamment la faire et la défaire.


LE ROI

Justement, mon compère,
C’est un de ces pays inconnus hier encor,
Sans âme, sans essor,
Sans contours définis, flottant comme un fantôme,
Dont j’ai fait un royaume
Tel, que l’Europe - ainsi qu’en la bouche des dents -
Pourrait danser dedans.


MOI

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Comment l’as-tu conquis ? Est-ce avec ton épée
De bravoure trempée ?

LE ROI

Mon cher, tout simplement par la persuasion
Et sans collision.
Un jour que j’errai seul, suivant ma fantaisie,
Au fi fond de l’Asie,
Tout à coup, un pays inouï, merveilleux,
Surgit devant mes yeux ;
Les alouettes dans des nids de fleurs blotties,
Chantaient, toutes rôties !
Des sources d’argent pur charriaient de l’or pur,
Et sous le ciel d’azur
On voyait une flore excessive, insensée,
Telle que la pensée
Ne put en concevoir, et demande merci :
- Tu dois voir ça d’ici. -
Avant de pénétrer dans cet Eden je sonne,
Mais il ne vient personne.
Je me dis : On m’attend. Ce pays sans emploi
Bien sûr doit être à moi.
Là-dessus, me sentant un appétit du diable,
Je cours me mettre à table :
C’est ainsi que je fus nommé roi des Sédangs,
Sans autres incidents…


MOI

Je sais des souverains des plus recommandables,
Aux chimères semblables :
Tel ACHILLE premier, que le sort n’émeut pas,
Règne entre ses repas,
Par la grâce de Dieu, sur la Patagonie
Et sur l’Araucanie…
Et combien avez-vous d’âmes dans vos Etats,
Sire… ?

LE ROI

Des tas, des tas !


MOI

Vous êtes un grand roi ! Un dentiste ! Au génie !
… Mais ma tâche est finie ;
J’emporte le plus beau de tous mes interviews
Et prends congé de vous…
Mais avant, permettez à ma vile poussière
Sa question dernière :
Comment se fait-il donc que Votre Majesté
Soit dans notre cité ?

LE ROI

Ah ! C’est qu’il est des jours où le pouvoir m’écrase,
Ou mon peuple me rase ;
Alors je prends le train et je viens à Paris,
Le vrai séjour des Ris


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français

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