8 févr. 2008

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ODE
sur la Mort de Marie 1er
ROI DES SEDANGS
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Le royaume des Sedangs * est un royaume éphémère que l’aventurier français Marie-Charles David de Mayrena * créa en 1888 dans l’arrière-pays de l’Annam, en Indochine française. Il se proclama Marie Ier, roi des Sedangs.


Ainsi donc, ô cruelles Parques
Vous avez coupé le sifflet
Au plus moderne des monarques
Dont l’univers se prévalait.

Ah ! détestables douairières,
Je taperais sur vos derrières
Volontiers à coup de merlin,
Vous de qui la rare insolence
Pèse sur la même balance
Le noble comme le vilain.

C’est déjà dur de voir les êtres
Qui, de par la grâce de Dieu
Et de père en fils sont nos maîtres,
Tomber comme vous, morbleu !
Mais, où ma douleur est extrême,
C’est quand un roi choit, qui soi-même
S’est fait roi ; quand c’est un soldat,
Misérable fleur de guérite,
Qui par son propre et seul mérite
S’élève au rang de potentat.


Tel fut ce valeureux Marie
Que nous pleurons en ce moment,
Et dont la mémoire chérie
Doit rester éternellement.
Las ! ce brave et bouillant Achille,
Ce corps prompt et cette âme agile,
Pour un injuste arrêt du sort
Anime aujourd’hui de son ombre
Les quais de cette Ville sombre
D’où jamais personne ne sort.


Encor qu’elle ait été riante,
Sa jeunesse - croyez-le bien -
Fut plutôt insignifiante
Ainsi, qu’une chacune, et rien
Ne fit, en ses tendres années,
Prévoir ses belles destinées,
Jamais certes - non plus que moi -
Il n’ouït ces mots prophétiques
Des trois sorcières macbéthiques :

« Marie, un jour tu seras roi »


Il le fut pourtant, c’est notoire,
A l’instar de Napoléon ;
Déjà le réclame l’histoire,
Et le pompe le Panthéon.
Après avoir eu ses études
Montré de vagues aptitudes,
Réussi même à son bachot,
Il se tint ce propos fort dense
Qui prouve avec surabondance
Qu’il n’avait pas l’esprit manchot :

« En notre siècle fin de siècle
Qui sort de la maison Tellier *
Et ne rime qu’à Sainte Thècle, *
Je ne puis, pauvre bachelier,
Qu’entrer comme surnuméraire
Dans quelque bureau funéraire,
Ou, plus simplement, en prison ;
Me faire pion ? Ou dans les gares
Ramener des bouts de cigares ?
C’est un assez veule horizon.

Ici-bas, j’en ai l ‘assurance,
On ne peut qu’être gueux ou roi ;
Je serai roi de préférence,
C’est plus facile qu’on ne croit.
Il doit bien y avoir sur terre
Quelque peuple extraordinaire
Qui pleure en demandant un roi.
Quand ce serait à des grenouilles,
Des pédezouilles, des andouilles,
Il faut que j’impose ma loi ! »

Il dit et fourre dans sa malle
Sans autrement s’en soucier,
Une chemise, un faux-col sale,
Quatorze fusils, un huissier
Avec trois paires de chaussettes,
Embrassa sa sœur à pincettes,
Pus, après in triste adieu-vat
Il s’en fut avec sa fortune
Sur le sein tremblant de Neptune :
Audaces fortuna juvat ! *


Il arriva devant une île
Si ça n’est pas un continent
Ou bien encore une presque île
Bref, une terre contenant
Un peuple n’ayant pas d’histoire,
Giratoire et problèmatoire,
Sans linge et sans antécédents ;
C’est pour cette dernière cause
Qu’il l’a dénomme, je suppose,
Simplement terre des Sedangs.

Dès qu’il y mouilla son navire
Ce fut pour lui pays conquis;
Comme César, il eût pu dire :
Je vins, je vis et je vainquis.
C’est ainsi qu’un sage raisonne.
« Ce royaume n’est à personne,
Il est à moi, par conséquent ;
Car, selon la formule anglaise,
Il est suffisant qu’il me plaise,
De ce pas j’y plante mon camp. »

Son règne fut court et prospère.
Il fit périr tous les huissiers.
Ses peuples l’appelaient leur père.
Il les eut tôt initiés.
Il changea d’abord les wallace
En des fontaines de vinasse
Qui coulaient la nuit et le jour,
De sorte qu’en très peu d’années
Ces terres , qui semblaient damnées,
Devinrent un joyeux séjour ;


Et ces sauvages qui naguère
Étaient d’un crétinisme épais,
Surent les douceurs de la guerre
Au lieu de croupir dans la paix,
Grâce à cet admirable Alcide
En qui le courage réside.
Ces noirs habitants des forêts
Qui n’avaient pas d’impôts, en eurent ;
Bref, en peu de temps ils connurent
Les divers bienfaits de la paix.

Mais où diable était ce royaume ?
Près de Charybde et Scylla ?
Était-ce un royaume fantôme
Qui se promenait ça et là,
Entre Asnières et Tananarive
Comme une barque à la dérive ?
Qui le saurait il le dirait.
Cela fut toujours un problème,
Au point que notre roi lui-même
En quelque sorte l’ignorait.


Mon Dieu, messieurs, que nous importe
Qu’il fut près du cas Matifou,
Derrière la Sublime Porte,
En Chine ou bien à Tombouctou ?
C’est le propre d’un Alexandre,
Voire même d’un grand Alcandre
De savoir régner n’importe où.
Il est mort ? Qu’il aille se pendre !
Sur lui c’est assez nous répandre
Dieu seul est le grand manitou.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
25 janv. 1891
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