5 juil. 2008

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LE VIN et LE THE
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Les planteurs de thé anglais ont formé le projet
de substituer au vin l’usage du thé.

Ces Anglais ( la peste les crève !)
Caressent - parait-il - ce rêve
De tuer le vin par le thé !
Le thé, cette fadeur notoire
Tuant notre vin péremptoire !
Faut qu’ils en aient une santé !

Non, mais… je voudrais bien connaître
Le triple viédaze, le traître *
A qui premier l’idée en vint ?
Ce n’est plus un fol, il est pire.
Amis, retenez votre rire,
Remplacer par le thé le vin :


C’est vouloir, en quelque manière
Remplacer Paris par Asnières,
Un appétit par le conseil
De ne plus manger… c’est encore
Par une lanterne incolore
Vouloir remplacer le soleil !
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Le culot n’est pas ordinaire
Qu’ils ont dans la vieille Angleterre.
Encor, s’il était bon leur thé…
Mais je ne sais pas de mixture
Aussi contraire à la nature ;
En avez-vous jamais goûté ?

Il n’y a de pire lavasse,
D’eau de vaisselle, bibinasse.
Je ne voudrais pas seulement
- Fussé-je à mon heure dernière -
Absorber avec mon derrière
Leur thé, sous jeu de lavement.


O vins de la noble Gironde !
O vous sans seconds dans le monde !
Cette sotte prétention,
O vins des forts et vins des braves,
A dû dans vos chais et vos caves,
Vous mettre en ébullition !

O vins de la riche Bourgogne
Qui de moi feriez un ivrogne,
Si je ne l’étais déjà,
Dignes de la suprématie -
Disons de la vinocratie -
Où mon amour vous érigera !



Vous tous de France, vins illustres,
Qui brillez depuis tant de lustres
Sur notre pâle humanité,
Vin de tout pays, je puis dire,
Le plus nul de vous n’est pas pire
Que la fine fleur de leur thé !

Rassurez-vous, ô buveurs dignes !
Et ne craignez rien pour vos vignes.
Non. Le triomphe de leur thé,
De leur exécrable tisane,
Autant dire leur pissat d’âne,
N’est pas encor pour cet été !



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
19 juillet 1906

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