4 juil. 2008

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LE TENOR
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Cydalises, marquises,
Et vous toutes, conquises
Par cette voix en or
Qu’a le ténor ;

Qu’il soit gras, qu’il soit maigre,
Laid ou beau, blanc ou nègre,
Vous en pincez pour lui.
Mais oui, mais oui.

Sa voix, il va sans dire,
Vous met dans un délire
Qui confine au Divin ;
Mais c’est en vain

Que vous leurrez votre âme.
Et ce n’est qu’une flamme
Qui vous monte au cerveau,
C’est déjà beau !

Pour envahir ensuite
- Par le Diable conduite -
Votre corps libertin.
C’est bien certain.

Plus souvent vous vous dites,
Par Vénus Aphrodite
Et par un autre encor,
Si ce ténor,


Alors qu’il est en scène,
Pour rendre une amour vaine,
Trouve de tels accents,
Et cela sans

Y croire. Que serait-ce
Parlant à sa maîtresse ?
Je vous entends d’ici
Chanter, ainsi

Que faisait Juliette,
« Ce n’est pas l’alouette »
A ce Roméo-là.
Oh ! mais, holà !

O folles sous vos jupes,
Vous seriez - je crois - dupes !
Vous vous montez le coup,
Et bien beaucoup.

C’est Satan qui vous mène.
Car c’est un phénomène
Que le ténor parfois,
Sinon sa voix.

Et tel qui si bien chante
Souvent au lit déchante
Il n’en dit pas bien long
Cet Apollon.


Le ciel vous préserve !
Il a perdu sa verve.
La femme tout d’abord,
N’est pas son sport.

Et vous n’en auriez guère
- Comme dit le vulgaire -
Pour votre bel argent.
C’est affligeant.

A-t-il quelque ménage ?
Il faut qu’il se ménage,
S’il veut chanter le soir,
Sans quoi, bonsoir !

Il a peur pour son rhume.
Il ne boit ni ne fume,
Il craint, comme l’Enfer,
Les courants d’air.

S’il mérite la pomme
Comme chanteur, comme homme
Il ne vaut pas un clou.
C’est un filou…

Ce prometteur de fêtes
Dont bien à tort vous faites
Votre exécrable dieu,
Est nul au pieu.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
11 oct. 1906


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