2 juil. 2008

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AUX FINS D'AUTOPSIE
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Or, une femme avait reçu
Quatre ou cinq balles dans la tête,

« Dont une au coeur » comme on a su
Depuis, aux termes de l’enquête.

La pauvre, on le serait à moins,
Etait morte de ses blessures
Et l’assassin par des témoins
Du crime, remis en mains sûres,

Après s’être un peu fait prier,
Comme sont les gueux de sa sorte,
Dut au commissaire avouer
Qu’il avait bien tué la morte.

Puisque le meurtre était constant,
Ne comportant aucun mystère,
Il suffisait donc, pour l’instant,
De porter la victime en terre.


Las ! Loin de la laisser dormir
En paix sa tout dernière sorgue,
Voilà qu’on la porte bleuir
Aux sombres dalles de la Morgue.
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Puis, des chirurgiens fougueux
De leurs scalpels, ciseaux, tenailles,
Et autres instruments hideux,
Lui farfouillèrent les entrailles.

Je les vois, du sang tout partout…
Et, pourquoi faire, je vous prie ?
Ça les avance-t-il beaucoup
Cette horrible charcuterie ?

La belle chose, en vérité,
Que ce dépècement macabre,
Absurde et sans nécessité,
Devant lequel l’esprit se cabre !

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* ...*


Serait-ce pour nous montrer vos
Chirurgicales aptitudes,
Chirurgiens des temps nouveaux,
Ou pour parfaire vos études ?…


A la rigueur on comprendrait
Cette autopsie, en quelque sorte,
Si, par hasard, on ignorait
Comment notre victime est morte.

Mais, ici, rien à discuter.
On voit bien que ça vous amuse
De charcuter pour charcuter.
Vraiment, votre scalpel abuse.


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*... *
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N’est-ce point assez, ô savants
Chirurgiens de ma patrie !
Que d’exercer sur les vivants
Votre si coupable industrie ?

Déjà, pour un non, pour un oui,
Aujourd’ hui l’on vous vivisecte
Avec un aplomb inouï.
C’est de « l’action trop directe »…

Encore, contre votre sport
Un vivant pourra se défendre…
Mais pitié pour un pauvre mort !
Messieurs, laissez en paix ces cendres !

Enfin… quoi que vous en pensiez,
La cause me semble entendue,
Les cadavres autopsiés
Ce sont des morts que l’on retue.
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RAOUL PONCHON
Le Journal
11 mai 1914

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