3 juin 2008

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A PROPOS DE MICHELET
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A Jean Bouchor
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Il était indiqué - que dis-je ? - nécessaire
De chanter un couplet
De circonstance, au jour de son anniversaire,
A Jules Michelet.

Ce fut un bougre fin, un bûcheur à l’épreuve,
Et l’on sait aujourd’hui
Que les livres qu’il fit - quoi qu’en pense sa veuve -
Sont presque tous de lui.

Avant lui tout Français ignorait son histoire
D’après Henri Martin
Dont le style était fou, laïque, obligatoire,
Vague, neutre, incertain.

Michelet fit le seul récit que l’on peut lire
De l’histoire… qu’on a ;
Il nous a dit la femme et l’oiseau sur sa lyre,
Et le Râmayana !

Il nous a dit le Droit, l’Amour et la justice
Délaissés aujourd’ hui
Sur un mode majeur, exquis, plein de délice,
Et rarement ouï.

Pour chanter ce poète il fallait un poète ;
Il fallait un grand cœur
Pour chanter ce grand cœur, un éclat de trompette
Pour ce triomphateur.


On sait que, d’habitude, en telles circonstances,
Le môme Officiel
Trouve que l’art divin de composer des stances
N’est pas essentiel ;

On charge de ce soin n’importe quel notaire…
Un pâtre de bisons…
Un Henri de Bornier… une bonne à tout faire…
Un client des prisons…

Eh bien, c’est renversant, le ministre pas bête,
Bien que nommé Bourgeois,
Avait, pour une fois, sais-tu, sur un poète
Laissé tomber son choix.

Et même, il avait eu la main assez heureuse,
Je vous le dis encor,
Car c’était ce poète à l’âme généreuse
Et candide, Bouchor. *

Bouchor avait donc dit tout ce qu’il fallait dire.
Ce qu’il avait écrit
Etait précisément ce qu’il fallait écrire,
Le rare et noble esprit !

Après le dithyrambe il avait fait entendre,
Et non pas à moitié,
Le vocable futur, et la parole tendre
Et le cri de pitié.

Et ces vers qui auraient fait tressaillir le maître
D’aise, dans son tombeau,
Il semblait que Bourgeois dût les aimer, peut-être…
Non, c’eût été trop beau.


Pour lui c’était autant de phrases subversives ;
Vous savez que l’Etat
Quand on ne lui sert pas de formules poncives
Croît à quelque attentat.

Le poète y mettant le meilleur de son âme
Il dépassait le but,
Oubliait le mot d’ordre inscrit dans le programme.
Autant dire : Bran ! Zut !

J’en parle librement, car, en mon for intime
Je ne suis pas d’accord
Toujours avec Bouchor, las ! mais toujours j’estime
Que c’est moi qui ai tort.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
21 août 1898


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