13 juin 2008

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Où est Bernard ?
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A Hugues Delorme

Quand je me pipperminthe
Chez Julien, à l’absinthe,
Je vous le dis sans fard,
La tristesse m’efflanque,
Quelque chose me manque,
C’est mon ami Bernard.

Sa figure plaintive
Et sa décorative
Affection pour l’eau
Nous est indispensable,
Sans compter que ce diable
Fait bien dans le tableau.

Je dis qu’emmi nos trognes
Ce pourfendeur d’ivrognes
Couleur d’eau de cocos,
L’oeil du passant arrête
Comme une pâquerette
Chez des coquelicots.

Le patron le réclame.
Lamartine le blâme
Et me glisse tout bas :
« Monsieur, c’est la panade,
Sans lui. La limonade
Ne va plus. » Il n’est pas


Jusques à la fleuriste,
Jouxte… qui ne s’attriste
Vers six heures un quart :
« Je vois bien mon Delorme,
Il me parait en forme ;
Mais où donc mon Bernard ?



« Le vois-tu pas, ma sœur Anne,
Venir sur sa bécane ?
- Hélas, je ne vois que
La route qui poudroie,
Le trottoir qui m’erd’oie… »
Répond-elle. C’est peu.

Où diable Est-ce monocle ?
Est-il Dieu sur son socle
Dans le sein des Brésils ?
Dans quels pays funèbres
Ses cheveux de ténèbres
Pour l’instant frisent-ils ?


Est-il, ce taciturne,
Né natif de Saturne,
Parti pour Visa pour
Est-il parti pour l’Inde
Avec sa Rosalinde,
Ou bien pour on n’sait pour ?…

Ou si, par aventure,
Cette riche nature
Par grande pitié pour les
Malheureux Boers, cogne
En cadet de Gascogne
Sur ces cochons d’Anglais ?…



Mais où qu’il soit, dis, Hugue ,
N’est-ce pas que sa fugue
Ça n’est pas bien décent ?
On se demande en somme
Jusqu’à quel point cet homme
A le droit d’être absent.



RAOUL PONCHON

Le Courrier Français
29 oct. 1899

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