13 juin 2008

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Portrait du Diable
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L’autre nuit, dans un rêve,
J’ai donc vu de mes yeux,
Sur une étrange grève,
Un être merveilleux.

Tout son corps de lumière
Ardait comme le feu,
Et toute sa manière
Etait celle d’un dieu.


Sa beauté plus qu’énorme
Méritait tout pavois,
Et je compris la Forme
Pour la première fois.

*
* ...*



- O toi ! fils du Prodige,
Toi, de clarté vêtu,
Quel est ton nom ? lui dis-je.
Et de quel ciel viens-tu ?

- Je suis le Diable ! - Voire !
Tu te gausses de moi ;
Je ne saurais te croire.
Comment… le Diable, toi ?


« Le Diable est un grand maigre,
Le Diable est noir encor
Ni plus ni moins qu’un nègre,
Tandis que tu n’es qu’or.

« Ainsi qu’une sorcière,
Le Diable est mal fichu,
Il a queue au derrière,
Il a le pied fourchu.


« Il est, en quelque sorte,
Hideux, et non qu’un peu ;
Or, le Diable m’emporte !
Tu m’as tout l’air d’un dieu.

« Je le connais peut-être…
C’est lui mon chérubin,
Mon seigneur et mon maître,
Le Diable, hélas ! Enfin…



« D’où vient que l’on te peigne
Sous d’aussi vilains traits,
Toi que la grâce imprègne,
Toi si rose et si frais ? »


- N’en doute pas, bonhomme,
C’est bien moi que voici,
Le Serpent de la Pomme,
Et le Maudit ! que si


« Ton exécrable race
Me va représentant
Avec cette disgrâce,
Cet aspect rebutant,


« C’est parce qu’elle est lâche
Ou qu’elle me confond…
D’ailleurs, je ne m’en fâche,
Elle m’adore, au fond ! »



RAOUL PONCHON
le Journal
30 juin 1913



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