12 juin 2008

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Démolissons, Démolissons
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De tous côtés, j’entends dire
Que Paris se verra réduire,
Un de ces jours, - il se peut bien , -
Sous tant de travaux, de soudages,
De chantiers et d’échafaudage ;
Et que le bon Parisien

Va poussant des cris d’alarmistes…
Qui dit cela ? Le journaliste.
On voit qu’on ne le connaît point
Plus qu’un nègre d’Ethiopie.
C’est pour faire de la copie ;
Mais il se trompe sur ce point.


Le Parigot, en théorie,
Ce n’est que pour crier qu’il crie.
Certe, il n’est pas toujours d’accord
Avec l’édilité publique…
Mais il suffit qu’il s’explique.
Il se rend compte tout d’abord

Qu’il lui faut des échafaudages
Pour ses maisons à dix étages,
Puisqu’il veut habiter en l’air ;
De même, aimant rouler sous terre,
Il trouve donc élémentaire
Qu’on bouscule le sol, - c’est clair.


Peu lui chaut que Paris soit lisse.
Il adore qu’on démolisse.
Ça ne va pas sans des plâtras
Sur les trottoirs et les chaussées,
Sans des charpentes exhaussées,
Enfin, mille et un embarras.

Loin de l’effrayer, au contraire,
Ces travaux sont pour le distraire.
Et, comme il est homme de sport
Avant tout, non sans quelque emphase
D’établir un nouveau record.

Voyez la belle désinvolte
Avec laquelle il vire et volte
Au milieu de tous ces gravats,
Ces fondrières, monticules,
Ces palissades ridicules.
Il aime ça, n’en doutez pas.

Croyez bien que dès qu’une rue
Est impraticable, il s’y rue.
On dirait de tel abruti
Qui, le jour de la Mi-Carême,
Bien qu’il en ait une pour blême,
Court au devant des confetti.

*
* ...*


Le Parisien bade et muse.
Son Paris démoli l’amuse.
Il est surtout intéressé
Par l’encombrement et l’obstacle.
Pour lui, c’est l’éternel spectacle,
Et puis, il n’est jamais pressé.

Il passe des heures entières
A regarder des fondrières.
Et pourtant, il faut y songer,
Il fait ses affaires quand même.
C’est justement là le problème
Qui rend stupéfait l’étranger.

Quoique adroit, par une voiture,
Par une poutre… d’aventure
Notre homme peut être écrasé.
C’est donc qu’il en mourait d’envie,
D’être écrasé. C’est que la Vie
L’avait suffisamment rasé.



RAOUL PONCHON

Le Journal
23 mars 1908


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