30 juin 2008

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Sensations de Bretagne
(Morgat - Douarnenez)

Pour André Theuriet

Donc, parmi les bretonnes
Cités dont tu t’étonnes,
Bonhomme Theuriet,
Et que ta plume rude
Sans préalable étude
Hier inventoriait,

Avec transport tu cites
Ce trou d’Amalécites
Qu’on appelle Morgat ;
Et de plaisir tu rotes
En contemplant ses grottes :
C’est vraiment d’un gaga.

Tu nous chantes ses grèves,
Ses villas veules, brèves,
Qui ne sont pas d’ici,
Et qui n’ont pour tout ombre
Que le feuillage sombre
De trois brins de persil ;

Son hôtel confortable,
Le menu de sa table
Et son jardin anglais ;
Ses massifs, jeux de quilles,
Ses Hermann Paul familles
Qui jouent à être laids.


Moi qui te croyais être
Un artiste champêtre,
Tomber dans ce panneau !
Pour un peu, Jean-Marie,
Tu voudrais, je parie,
Y voir un casino.

Ma foi, plus je t’écoute,
Plus je n’y comprends goutte,
Je te le dis sans fard ;
C’est bien le plus - sans faute -
Banal coin de la côte
Comme le plus blafard.

Et, qui plus est, tu bêches
Ce fier endroit de pêche,
Notre Douarnenez,
Cette perle tombée
Tout au fond de la baie
Si chère aux raffinés.

Et la belle couronne
De bois qui l’environne
N’est-ce point fabuleux ?
Sa flotte qui radine
Des pêcheurs de sardine
Avec leurs filets bleus !


Ses environs sublimes,
Ses vallons et ses cimes
Et sa plage du Riz
Et tel point de repère ;
Tu sais, zut mon compère
Pour Morgat et Paris !

Sans compter que les filles
Y sont assez gentilles
Avec de beaux nénais :
En faut-il d’avantage
Pour les ceuss de notre âge,
Pour les hommes bien nés ?

Si Morgat a des sites
Dont ses Amalécites
Ont les yeux étonnés,
Des Anglais et des grottes
Douarnenez a des crottes
Dont s’étonnent les nez.

Tout y est encor fruste,
Simple, antique , robuste,
U pue un peu, mais , quoi ?
Si l’on craint ce parage
Qui sent le moyen-âge,
Il faut rester chez soi.


Bien sûr qu’un jour ou l’autre
Il ne sera plus nôtre
Ce pays fortuné ;
On le striera de rues,
Il y naîtra des grues :
Pauvre Douarnenez !

Le progrès et le reste
Gagnent comme la peste.
Hélas ! Et, mon cher maître,
Un temps viendra peut-être
Où l’on le balaiera.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
25 sept. 1898




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