29 juin 2008

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C'EST LE LAPIN QUI COMMENCE
(SORTE DE FABLE)

Or, un vieux lapin, certain soir,
Songeait au fond de son songeoir .
Il songeait : Voyez la démence !
J’entends dire de tous côtés,
Par un tas de bêtas bâtés,
Que c’est toujours moi qui commence !
Peut-on dire !… Pauvre lapin,
Moi qui ne fait que me défendre
Contre un chacun, hélas ! Enfin,
Mieux vaut cette ânerie entendre
Que d’être sourd évidemment.

J’ai là, pour voisin, notamment,
Une manière de volaille,
Effroyable, de forte taille,
Un aigle, sinon un vautour,
Qui me harcèle tout le jour,
Et d’autant plus m’impressionne
Qu’il me semble, Dieu me pardonne !
Que cette volaille a deux cous
Et deux têtes - c’est bien beaucoup.


Grâce à mon admirable astuce,
De même qu’à mes sauts de puce,
J’ai pu l’éviter jusqu’ici.
Mais devrai-je, bête craintive,
Toujours rester sur le qui-vive ?…
Jamais ! C’est trop stupide aussi
Que, transi de peur, je m’affale
Devant ce condor bicéphale,
Et que mon unique souci
Soit de rentrer dans un trou sombre,
Dès que je sens sur moi son ombre…

Serait-ce qu’il crâne avec moi
Parce qu’il connaît son émoi
Facile ?… Qui sait ? Son audace
Pourrait bien n’être qu’en…surface !
Que si j’essayais, à mon tour,
De faire peur à ce vautour ?
C’est vrai qu’il demeure au septième,
Auprès du tonnerre lui-même.
N’importe, en faisant maint circuit,
J’arriverai bien jusqu’à lui.


Ainsi songeait notre herbivore.
Et donc, le temps qu’il se restaure
Le lendemain au petit jour,
Devant cet aigle ou ce vautour,
Qui se croyait inabordable,
Il se présenta, formidable,
Les yeux en feu, le poil dressé,
Le dos rond comme une futaille,
Et pour tout dire, vous pensez,
Les deux oreilles en bataille ;
Puis, il fit comme ça : prout ! prout !
Tant et si bien que mon rapace,
Aussitôt lui quitta la place,
En se disant : c’est un mammouth !


RAOUL PONCHON
Le Journal
28 avril 1913

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