4 mai 2008

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L'EMPEREUR
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Est-il rien sur la terre
De plus accordéon
Que la grande misère
Du grand Napoléon ?
Que son sort est miteux
Et même marmiteux !


Sur la place Vendôme
Je l’aperçus hier soir ;
Il sortait de son dôme,
Crus-je, pour aller voir
Si toujours sa personne
Etait sur la colonne.

Sa redingote grise
Et son petit chapeau
Défiaient l’analyse,
N’étaient plus qu’un lambeau ;
Et je me disais : Oh !
Le pau… le pau… le pau…!

« - Etes-vous ce génie,
Lui dis-je en l’abordant
Qui fut d’artillerie
Jadis un lieutenant,
Par la suite empereur
Inspirant la terreur ?

« - Oui, oui, c’est moi cet homme,
Bien sûr - qu’il me répond -
Je suis celui qu’on nomme
Le grand Napoléon !
Oui, mon petit ponchon,
Oui, mon petit cochon.


« C’est moi cet homme illustre,
Fils aimé du succès,
Qui jeta tant de lustre
Sur le peuple français,
Pendant vingt ans et plus,
Et pour le roi de Prusse !

« - Quoi ! c’est donc cela, sire,
Qui vous rend soucieux ?…
Mais, déjà votre Empire
Est un compte bien vieux ;
Et puis vous êtes mort :
Est-il un plus beau sort ?

« - Ami, qui vois ma peine,
Ça n’est pas Waterloo,
Ça n’est pas Sainte-Hélène
Non plus que le tombeau
Qui me navrent ainsi ;
Ecoute, c’est ceci :

« Depuis cinquante années,
Sous mon dôme vermeil
Je goûtais un sommeil
Que j’avais bien gagné,
Lorsque Chose… Machin…
Ah ! oui … Petimougin,

« Et puis un petit maigre
Irascible et fougueux,
Enfin, Laya, le nègre,
M’éveillèrent, les gueux !
Je résistai d’abord…
Mais quoi ! trois contre un mort !


« De moi, l’homme de guerre,
Ils firent un acteur,
Ce qui n’est une affaire
Que pour un directeur,
Car, comme je suis feu,
Je ne touche aucuns feux.

« Oui, chacun d’eux me force,
L’un à parler en vers,
Sardou en patois corse,
L’autre en celui d’Anvers,
Et jouer chaque soir
Trois fois ma propre histoire ! »

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RAOUL PONCHON
Le Courrier Français

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