23 mai 2008

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INVITATION AU VOYAGE
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A Catane, en Sicile, il y a, parait-il, tant
de vin que les marchands le donnent
boire à un sou l'heure.
(Journaux)

Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas, à Catane,
Pays près d’ici,
En Sicile, si
J’en crois mon Guide Joanne.
C’est un trou pas cher,
Au bord de la mer ;
La vigne ardemment y pousse
Sur les coteaux à
Deux pas de l’Etna,
Me dit encor mon Larousse.

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Mais ceci n’est rien.
Ecoute-moi bien :
Ce qui fait surtout la gloire
De ce lieu divin,
Ce qui me convainc,
C’est qu’à l’heure on peut y boire
Du vin tout son soûl,
Moyennant un sou,
Disent les feuilles publiques ;
Ça qui me paraît
- Comme qui dirait -
Un argument sans réplique.


Le pays charmant !
Eût dit Saint-Amant,
En son délire bachique.
Le doux patelin !
Eût dit Basselin,
Qui est mon autre classique.
Allons-y toujours
Passer quelques jours.
Voilà bien la scène à faire.
Quand ce ne serait
Que pour - s’il te plait -
Changer de café, d’atmosphère !


Si ces Catanois
Ont un vin de choix,
Bien qu’ils ne soient mercantiles,
Jamais les pauvrets
Ne feront leurs frais.
Ils peuvent être tranquilles…
Si quelques gaillards
Munis de leurs trois liards,
Comme moi, leur font visite.
Ah ! Les malheureux !
Quel déchet pour eux !
Ils auront tôt fait faillite.


Par contre, si leur
Vin n’a pas d’ampleur
S’il laisse un déboire aux lèvres,
S’il est, en un mot,
Un vin de grimaud
A faire danser les chèvres,
Nous le verrons bien,
Et même, oh ! combien !
Alors, nous en serons quittes.
Pour le revomir
Et pour déguerpir,
Après de fâcheuses cuites.



En France, jadis,
On buvait gratis
Ou tout comme, le dimanche
Voilà des printemps !
C’était au bon temps
Qu’on se mouchait sur la manche !
Mais ce temps n’est plus
J’ai donc résolu
De fréter une tartane…
Aussi bien, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas, à Catane…



RAOUL PONCHON
Le Journal
24 août 1908
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