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EVE
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Si le Printemps finit,
Puisque la pourriture est au coeur de la rose,
La tombe au fond du nid ?
R. DE MONTESQUIOU
(Les Paons)
Quand le Seigneur - un jour d’erreur -
Eût fabriqué le monde,
Avec un geste d’empereur,
S’adressant à la ronde,
Il dit : « Sous mon clair firmament,
Les êtres et les choses,
Tout ne durera qu’un moment,
Pour des raisons, des causes…
« La nuit suivra le jour ; l’Hiver,
Atroce, inéluctable,
Chevauchera le printemps vert…
Et rien ne sera stable.
« Toi-même, que j’ai façonné
Selon ma propre image,
Adam, tu seras moissonné
Dans l’été de ton âge. »
Et la Nature s’inclina,
N’en pouvant mais. Seule, Ève,
Que Dieu d’instruire dédaigna,
Eternisait son rêve.
Et les seuls soucis, savez-vous,
De sa jeune cervelle,
Etaient de plaire à son époux,
D’aimer et d’être belle.
Elle ne voyait même pas
La fuite des années,
Insoucieuse, sous ses pas,
Des roses tôt fanées.
*
* ...*
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Un jour, sur le bord d’un ruisseau,
Dieu voit la pauvre femme,
Se mirant au cristal de l’eau,
Pleurer à fendre l’âme.
Il s’approche, et, l’apostrophant :
" Qu’est-ce donc qui t’arrive ?
Pourquoi ces larmes, mon enfant,
Et cette voix plaintive ? "
Eve, alors, relevant vers Dieu
Sa figure candide,
Montra son front. Au beau milieu,
Se voyait une ride.
" Parbleu ! lui dit-il, mon amour,
Tu en verras bien d’autres.
Il faut qu’il en soit ainsi pour
Des desseins qui sont nôtres.
" Tout doit mourir, sache-le bien.
Les fleurs et la verdure…
Aussi ta propre beauté. Rien
Ici-bas ne perdure.
" Je ne saurais faire pour toi
D’exception aucune…
Enfin, que veux-tu, c’est ma loi,
Et c’est ma loi commune. "
" - Eh ! que me fiche à moi ta loi ?
Elle n’est qu’injustice.
Sanglota la pauvre - Pourquoi
Faut-il que je vieillisse ?
" Je veux bien mourir à mon tour
Puisqu’il faut que je meure.
Mais, jusques à mon dernier jour,
Que ma beauté demeure. "
Bien des siècles sont révolus
Depuis notre mère Eve.
Ses filles n’admettent, pas plus
Qu’elle, leur beauté brève.
Contre cette affront à subir,
Toujours Eve proteste,
Ne comprenant rien à… vieillir,
Ni moi non plus, du reste.
RAOUL PONCHON
le Journal
25 sept. 1901
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