21 mai 2008

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LE CERCLE DE LA MORT
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Dix minutes de terreur.
Affiches.
Tournez, tournez, bons chevaux de bois.
VERLAINE

Tournez, tournez, cercleux de la mort,
Tournez sur ce rythme de neuf pieds,
Qui semble en vers faux, estropiés ;
Tournez, tournez, sans perdre le Nord.

Vous n’êtes pas installés encore
Sur vos dadas, que déjà la foule
A le frisson, et la chair de poule,
Impatiente aussi, la pécore !

Tournez en rond, jeunes écureuils.
Ah ! qu’il est doux de voir en danger
Un être qui vous est étranger,
Quand soi-même on est en fauteuil !


Court-on pas voir, avec la même âme,
Guillotiner ?… C’est un sport moderne
Auprès duquel tout autre est si terne !
Hélas ! Comment corser le programme ?

Si l’on pouvait, sans trop de terreur,
Voir mettre un homme à la question,
Ç’activerait nos digestions.
Mais, quoi ? L’on est pas des empereurs.

Tournez, tournez ? Voilà ma voisine
Qui prend mon bras, par trac, et d’office.
Ce sont là mes petits bénéfices…
Tournez sur votre affreuse machine.

- « Mon Dieu ! Pourvu qu’ils ne timbrent pas,
- Dit-elle, - no qu’on tienne à leur peau,
Mais ils pourraient gâter mon chapeau… » -
- Ne craignez rien », lui dis-je, tout bas.

Tournez… Mais non, votre course est vaine.
Vous êtes là comme dans vos chambres.
Si vous devez gardez tous vos membres,
Ne tournez plus, ce n’est pas la peine.

Mais, c’est fini. Rien ne s’est cassé.
Ce sera pour la prochaine fois.
Allez-vous en, manants et bourgeois.
Pour quant à moi, je suis moins pressé…

Et dire qu’à tous ces sports moroses
Des gens s’emploient pendant des années !
Quand c’est déjà maigre destinée
De les… compter sur un lit de roses.


RAOUL PONCHON
le Journal
13 avril 1903

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Tournez, tournez, bons chevaux de bois
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Tournez, tournez, bons chevaux de bois,
Tournez cent tours, tournez mille tours,
Tournez souvent et tournez toujours,
Tournez, tournez au son des hautbois.

L'enfant tout rouge et la mère blanche,
Le gars en noir et la fille en rose,
L'une à la chose et l'autre à la pose,
Chacun se paie un sou de dimanche.

Tournez, tournez, chevaux de leur coeur,
Tandis qu'autour de tous vos tournois
Clignote l'oeil du filou sournois,
Tournez au son du piston vainqueur !

C'est étonnant comme ça vous soûle
D'aller ainsi dans ce cirque bête :
Bien dans le ventre et mal dans la tête,
Du mal en masse et du bien en foule.

Tournez au son de l'accordéon,
Du violon, du trombone fous,
Chevaux plus doux que des moutons, doux
Comme un peuple en révolution.



Le vent, fouettant la tente, les verres,
Les zincs et le drapeau tricolore,
Et les jupons, et que sais-je encore ?
Fait un fracas de cinq cents tonnerres.

Tournez, dadas, sans qu'il soit besoin
D'user jamais de nuls éperons
Pour commander à vos galops ronds :
Tournez, tournez, sans espoir de foin.
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Et dépêchez, chevaux de leur âme :
Déjà voici que sonne à la soupe
La nuit qui tombe et chasse la troupe
De gais buveurs que leur soif affame.
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Tournez, tournez ! Le ciel en velours
D'astres en or se vêt lentement.
L'église tinte un glas tristement.
Tournez au son joyeux des tambours !



Paul Verlaine
Romances sans paroles: Ariettes oubliées
1872
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