30 avr. 2008

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Va donc, eh, la Pudeur !
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Était une fois quatre modèles
Sarah, Suzanne, Manon,
Et la quatrième d’elles
C’était Yvonne son nom.
Évohé ! que ces déesses !
*

L’une châtaine, la seconde
Rousse comme du pain cuit ;
Si la troisième était blonde,
La der on eût dit la nuit.
Nom de Dieu ! que ces déesses !…

Et chacune était très belle,
L’une et l’autre étant bonne à
Tout faire, en tant que modèle,
Chez Henner ou chez Bonnat.
Nom de Dieu !…

Elles posaient la Madone
Ou la mère de l’Amour,
Ou bien la « fin, Babylone »,
Sinon Ève au premier jour.
Nom de Dieu !…

Un beau jour, on les invite
A ce bal dit «
des Quat’-z-Arts », *
Elles acceptent bien vite ;
S’amuser ! par quel hasard !…
Évohé…

- Puisque nous sous des modèles,
Que nous travaillons pour l’Art,
Il faut mettre, disent-elles,
Un costume un peu flambart.
Nom de Dieu !…
Évohé ! que ces déesses !…

*
*... *


La première s’était mise
Simplement, sans falbalas,
N’ayant rien qu’une chemise
Qu’elle portait sur son bras.
Nom de Dieu !…

La deuxième était vêtue
D’une rose dans la main ;
On eût dit la statue
Qui doit s’habiller demain,
Nom de Dieu !…

La troisième, ah ! la troisième !
Fallait la voir, voyez-vous ;
Elle avait - Dieu, que je l’aime ! -
Des anneaux d’or aux genoux.
Nom de Dieu !…

La der avait un costume
Quelque peu… zizi panpan :
Dans les cheveux une plume
Que l’on veut croire de paon.
Nom de Dieu !…

Au bal on leur fit des fêtes
A peine franchi le seuil ;
Elles étaient si bien faites
Qu’on se rinçait - combien ! - l’œil !
Nom de Dieu !…


Tout à coup passe un vieil homme,
Un vieil homme pas très beau ;
Il ne tenait pas de pomme,
Mais à la main son chapeau…
Nom de Dieu !…

Il accoste la première
Et lui demande pourquoi
Cette toilette légère ?
Elle répond : Quoi ! de quoi ?
Nom de Dieu !…

Sache que je suis modèle,
Ce qui fait que mon métier
Est - d’autant que je suis belle -
De montrer mon corps entier.
Nom de Dieu !…

Il demande à la seconde :
- Et toi ? - moi,vilain magot,
C’est parce que je suis blonde
Et qu’il fait légèrement chaud.
Nom de Dieu !…

Il demande à la troisième :
- Pourquoi si peu te vêtir ?
Elle dit : - C’est un problème
Que je ne puis définir,
Nom de Dieu !…


Il interroge l’ultime
Qui dit : - Moi, c’est différent,
J’ai pas même le centime
Qui commencerait un franc.
Nom de Dieu !…

Alors, lui, pris d’un beau zèle,
Prit aussitôt huit mouchoirs
Dont il cacha de nos belles
Les huit seins qu’il ne put voir.


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
02 juillet 1893


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