29 avr. 2008

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MARCHANDS DE DECORATIONS
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Ils étaient trois
Marchands de croix,
Mon tradéri
Tra tra la laire
(Air connu)


Jadis, pour qu’on vous décore,
Ne fallait-il pas encore -
Rappelez-vous - avoir fait,
Si ce n’est pas de « l’histoire »,
Quelque chose méritoire ?
- Il le fallait, en effet, -

Ou tout au moins des démarches.
Il fallait gravir des marches
Chez les ministres du jour ;
Faire dans les antichambres
De ces messieurs des deux Chambres
Un plus ou moins long séjour.

Aujourd’hui, point tant d’affaires,
Pas même besoin de faire
Un pas, de bouger un cil ;
Car, des croix de toute sorte
Chez vous on vous les apporte.
Et comment ça se fait-il ?

Voici : des gens d’industrie,
En un jour de rêverie,
Se sont dit : « Bien des Français,
Malgré la mode dernière,
N’ont rien à leur boutonnière.
Vous en connaissez, j’en sais.

« L’heure nous semble opportune
De combler cette lacune.
S’il est des Français nombreux,
De simplicité vulgaire,
Qui n’y pensent pas ou guère,
Il faut y penser pour eux.

« Tous ces clients sont les mêmes,
Ils ont pris de vastes flemmes,
S’il s’agit de se grouiller ;
Accommodants davantage,
Si, dans leur propre ermitage,
On vient les ravitailler ».
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* ...*


C’est donc ainsi que s’exerce
Le déplorable commerce
De nos nouveaux Gaudissarts. *
Ils s’en vont dans les familles
Munis de leurs pacotilles :
« Voici, disent-ils, chançards

Que vous êtes, des diplômes
Et des rubans de tous chromes,
Comme aussi bien de tous prix.
Ils seront à vous, en somme,
Si vous y mettez la somme
Convenable… Est-ce compris ?…

« Et puis, voici des médailles
De tout ordre, toutes tailles ;
Nicham… Christ de Portugal…
Chefs-d’œuvre d’orfèvrerie ;
Des Etoiles d’Illyrie…
Du Mérite Conjugal.. »



Aussitôt, sans qu’il barguigne,*
Le client prend tel insigne
Sur lequel il a tiqué,
Et d’ailleurs qu’est-ce qu’il risque ?
Il peut bien l’arborer, puisque
Il l’achète, au prix marqué.


RAOUL PONCHON
Le Journal
24 avril 1911
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Quel style ! chapeau.