9 janv. 2021

TE DEUS LAUDANUM


Liane de Pougy, courtisane et danseuse, "cocotte" de la Belle Époque, 
sut faire parler d'elle.
Trompée par son amant, elle "aurait" voulu mettre fin à ses jours... 
Raoul Ponchon ne manque pas d'ironie à son propos...

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La mort, une femme blanche, un peu maigre… 
(Chateaubriand. Mémoires d’O.T.) 


  Liane de Pougy, reine des élégances 
Et des jeux et des Ris, * 
Des excentricités et des extravagances, 
Idole de Paris ; 

Vous qui semblez un lys délicat sur sa tige 
Qu’un souffle briserait ; 
Vous dont le regard a pour moi plus de prestige 
Même qu’un cabaret ; 

Diane par le port, Vénus par le sourire, 
Ceinte de mille appas 
Sans compter trente encor dont je ne puis rien dire 
Ne les connaissant pas. 

D’un ancien officier supérieur ô fille, 
Dont le nom libertin 
Au Gotha parmi les plus pharamineux brille, 
Je veux dire au… Bottin ; 

Enfin, vous, notre gloire et notre amour, Liane 
Vous avez donc voulu
 Tuer en vous Vénus Aphrodite et Diane
 Au corps trois fois élu ?

Ah ! mon Dieu ! vous tuer ! pour qui ? pourquoi ? pour qu’est-ce ? 
C’est bête comme tout.
 Dites, n’aviez-vous pas de l’or plein votre caisse ? 
Des diamants partout ?


Aussi des amoureux ? Est-ce quelque nuage 
Dans votre ciel… de lit 
Qui vous fit entreprendre un aussi long voyage 
Devant lequel pâlit 

Quiconque ? Ou bien alors, victime rose et blonde, 
Si la môme Couédon 
Vous a dit de mourir pour les péchés du monde ? 
Si ce n’est ça, quoué donc ? 

Ah ! Seigneur ! Au moment que je parle, qu’apprends-je ? 
C’est pour un médecin 
Qu’en votre égarement vous voulûtes, cher ange, 
Être votre assassin ! 

Je comprendrais, à la rigueur, pour un malade, 
Mais pour un médecin ! 
C’est vraiment excessif. Mince de rigolade ! 
J’en ai mal au bassin. 

Donc, pour un médecin vous avez pris la forte 
Dose de Laudanum. * 
Heureusement pour nous vous n’en êtes pas morte. 
Te Deus laudanum ! (1) 

Ah ! quand le bruit courut dans votre bonne ville, 
O Liane au long cou ! 
Que vous aviez quitté notre planète vile, 
Ça nous foutit un coup.


Il nous sembla que la lumière était ravie 
A la notre Cité 
Comme si vous étiez qui lui donne la vie 
Son électricité. 

On alluma d’abord et crêpa les lanternes 
Et autre chose itou ; 
Les soldats furent consignés dans leurs casernes, 
On pouvait craindre tout. 

Juste à six heures les horloges s’arrêtèrent 
Puis, en signe de deuil, 
Les membres du Sénat la séance levèrent, 
Avec la larme à l’œil. 

Sans vous, vous supposez combien fut triste et morne 
Le grand steeple d’Auteuil : 
Dans un lot de sous-veaux, l’on vit le plus tricorne 
Gagner… dans un fauteuil. 


Et la Fête des fleurs ! eh bien… et la redoute 
Du Journal, chez Cubat * 
Il s’en fallut de peu que se mourant en route 
Elle ne succombât… 

Lâcher déjà la rampe à votre âge, madame ! 
Mais, vous n’y pensez pas. 
Vous n’avez pas encore rempli votre programme, 
O Liane, ici-bas. 

N’êtes-vous pas la fleur du Paris qui s’amuse ? 
N’avez-vous pas aussi 
Plus d’un auteur charmant dont vous êtes la Muse ? 
Oriane, que si !


Tenez, je me souviens, quand de vos doigts faciles 
Vous prestidigitiez, 
Ça nous semblait à nous, les pauvres imbéciles, 
Le plus art des métiers. 

Et plus tard je vous vois, en des apothéoses : 
Lors, vous m’apparaissiez 
Ainsi que ces bonbons fondants bleus, verts et roses 
Qu’on vend chez les Boissiers. *

Vous jouiez hier encor un rôle d’araignée ; 
Et c’était insensé 
A quel point vous étiez de ce rôle imprégnée ; 
Demandez à Sarcey. 

Ah ! si vous écoutiez quelqu'un qui vous conseille, 
Si vous vouliez, morbleu ! 
Faire un petit effort vous nous joueriez l’oseille, 
Je suis sûr, avant peu ! 


  RAOUL PONCHON 
Le Courrier Français 14 juin 1896 . .

(1) Je veux dire : Te Deum laudamus. Mais la rime avant tout.
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