TE DEUS LAUDANUM
Liane de Pougy, courtisane et danseuse, "cocotte" de la Belle Époque,
sut faire parler d'elle.
Trompée par son amant, elle "aurait" voulu mettre fin à ses jours...
Raoul Ponchon ne manque pas d'ironie à son propos...
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(Chateaubriand. Mémoires d’O.T.)
Liane de Pougy, reine des élégances
Et des jeux et des Ris, *
Des excentricités et des extravagances,
Idole de Paris ;
Vous qui semblez un lys délicat sur sa tige
Qu’un souffle briserait ;
Vous dont le regard a pour moi plus de prestige
Même qu’un cabaret ;
Diane par le port, Vénus par le sourire,
Ceinte de mille appas
Sans compter trente encor dont je ne puis rien dire
Ne les connaissant pas.
D’un ancien officier supérieur ô fille,
Dont le nom libertin
Au Gotha parmi les plus pharamineux brille,
Je veux dire au… Bottin ;
Enfin, vous, notre gloire et notre amour, Liane
Vous avez donc voulu
Tuer en vous Vénus Aphrodite et Diane
Au corps trois fois élu ?
Ah ! mon Dieu ! vous tuer ! pour qui ? pourquoi ? pour qu’est-ce ?
C’est bête comme tout.
Dites, n’aviez-vous pas de l’or plein votre caisse ?
Des diamants partout ?
Aussi des amoureux ? Est-ce quelque nuage
Dans votre ciel… de lit
Qui vous fit entreprendre un aussi long voyage
Devant lequel pâlit
Quiconque ? Ou bien alors, victime rose et blonde,
Si la môme Couédon
Vous a dit de mourir pour les péchés du monde ?
Si ce n’est ça, quoué donc ?
Ah ! Seigneur ! Au moment que je parle, qu’apprends-je ?
C’est pour un médecin
Qu’en votre égarement vous voulûtes, cher ange,
Être votre assassin !
Je comprendrais, à la rigueur, pour un malade,
Mais pour un médecin !
C’est vraiment excessif. Mince de rigolade !
J’en ai mal au bassin.
Donc, pour un médecin vous avez pris la forte
Dose de Laudanum. *
Heureusement pour nous vous n’en êtes pas morte.
Te Deus laudanum ! (1)
Ah ! quand le bruit courut dans votre bonne ville,
O Liane au long cou !
Que vous aviez quitté notre planète vile,
Ça nous foutit un coup.
Il nous sembla que la lumière était ravie
A la notre Cité
Comme si vous étiez qui lui donne la vie
Son électricité.
On alluma d’abord et crêpa les lanternes
Et autre chose itou ;
Les soldats furent consignés dans leurs casernes,
On pouvait craindre tout.
Juste à six heures les horloges s’arrêtèrent
Puis, en signe de deuil,
Les membres du Sénat la séance levèrent,
Avec la larme à l’œil.
Sans vous, vous supposez combien fut triste et morne
Le grand steeple d’Auteuil :
Dans un lot de sous-veaux, l’on vit le plus tricorne
Gagner… dans un fauteuil.
Et la Fête des fleurs ! eh bien… et la redoute
Du Journal, chez Cubat *
Il s’en fallut de peu que se mourant en route
Elle ne succombât…
Lâcher déjà la rampe à votre âge, madame !
Mais, vous n’y pensez pas.
Vous n’avez pas encore rempli votre programme,
O Liane, ici-bas.
N’êtes-vous pas la fleur du Paris qui s’amuse ?
N’avez-vous pas aussi
Plus d’un auteur charmant dont vous êtes la Muse ?
Oriane, que si !
Tenez, je me souviens, quand de vos doigts faciles
Vous prestidigitiez,
Ça nous semblait à nous, les pauvres imbéciles,
Le plus art des métiers.
Et plus tard je vous vois, en des apothéoses :
Lors, vous m’apparaissiez
Ainsi que ces bonbons fondants bleus, verts et roses
Qu’on vend chez les Boissiers. *
Et c’était insensé
A quel point vous étiez de ce rôle imprégnée ;
Demandez à Sarcey.
Ah ! si vous écoutiez quelqu'un qui vous conseille,
Si vous vouliez, morbleu !
Faire un petit effort vous nous joueriez l’oseille,
Je suis sûr, avant peu !
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
14 juin 1896
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(1) Je veux dire : Te Deum laudamus. Mais la rime avant tout.
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