27 févr. 2008

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LA CHAUMIERE DE L'AVENUE DU BOIS
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A l’époque, déjà lointaine,
Où cette allée, allant au Bois,
N’était qu’une friche incertaine,
Un terrain vague et de guingois,

Un jeune ménage « à la coque »
- C’est-à-dire tout frais du jour -
S’y construisit une bicoque,
Avec un jardinet autour.

Que faisait l’homme ? Et quoi, la femme ?
Je n’en sais rien. On dit pourtant
Qu’ils s’aimaient de toute leur âme.
Et voilà le plus important.

Ils vécurent là des années,
Heureux, et, la main dans la main,
Accomplissant leurs destinées,
Sans s’occuper du lendemain.

Hélas ! Le lendemain arrive,
Et nul n’en est le bon fermier.
Pour la fatale et sombre rive
L’homme dut partir le premier.

Mais, avant que la mort l’étreigne,
I fit venir près de son lit
Son épouse, dont le cœur saigne,
Sa triste compagne, et lui dit :

« - Jure-moi de ne jamais vendre
Notre humble et misérable toit,
Où tu me fus si douce et tendre,
Où je n’ai vécu que pour toi ?
»

Elle, - est-il besoin de le dire ? -
Lu jura son plus grand serment.
Alors, dans un dernier sourire,
Il trépassa tout doucement.

*
* ...*


Des mois et des ans se passèrent.
Puis des Haussmann et des Alphand *
Sévirent, qui bouleversèrent,
Selon des devis triomphants,

Toutes ces solitudes nues,
Pour y mêler dans le confort,
Des hôtels et des avenues,
Et d’âpres maisons de rapport.

Or, comme le bien de la veuve,
Son petit arpent de terrain
Se trouvait, comme encor se treuil
Gênant la symétrie un brin,

Elle fut, à mainte reprise,
Et par - devant rébellions,
Pour quelques noyaux de cerise,
Je veux dire des millions…

Invitée à vendre. Mais elle
Jamais ne voulut rien savoir.
Demeurée à son vœu fidèle,
Nul or ne pouvait l’émouvoir.

« - Bah ! des millions ! Pour quoi faire ?
Disait-elle, le cœur meurtri ;
Tous les millions de la terre
Ne me rendraient pas mon mari
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« Que m’importent vos symétries ?
Je n’en ai cure, Dieu merci !
Dans ma maisonnette fleurie,
Je veux vivre, et mourir aussi.
»



*
* ...*


Et c’est une plaisante chose
De voir, sympathique et soudain,
Ce petit toit de tuile rose
Perdu dans son quartier mondain.

Et puis, s’il détruit l’harmonie
De votre cité de rapport,
Je le dis sans cérémonie :
C’est votre cité qui a tort.

Pour moi, je veux qu’on me charcute,
Si je ne donnerais pas pour
Cette misérable cahute
Tous les immeubles d’alentour.



RAOUL PONCHON
Le Journal
Août 1904

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