21 janv. 2008

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La Fin de L'Académie
HISTOIRE FUTURE
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Les quarante Chinois en bois
Qui composent l’Académie
Moururent donc tous à la fois,
Par suite d’une épidémie.
C’était bien le cas où jamais
D’en finir avec ces sommets,
Avec ces Hondis, ces momies.
Si, plus d’académiciens,
A quoi bon une Académie ?
Le besoin ne s’en faisait mie
Sentir. Alors on pouvait bien
Du coup les supprimer…

Pourtant,
On n’y songea pas un instant.
Cette vieille sotte coupole
Étant la chose la plus folle
Qui soit sous la voûte des cieux,
Et ces quarante vieux messieurs
Les esprits les plus péremptoires,
Il n’en fallait pas plus, vraiment,
Pour toucher le Gouvernement,
Qui résolut, sans plus attendre,
De renommer tous à la fois
Les quarante Chinois en bois.

Oui, mais voilà, comment s’y prendre ?…
De quels juges viendra le choix ?
Fallait-il laisser à la Chambre
Le soin de ces quarante membres ?
A Loubet ! À Nicolas deux ?…
C’était quelque peu hasardeux…
Enfin, après un long palabre
On décida de faire appel
A ce suffrage universel
Qui est le moyen le plus glabre
De se consulter, sous le ciel.
Paris vota, puis la province.
Le résultat fut des plus minces,
Cent fois encor plus biscornu..
Que celui jadis obtenu,
Quand ces messieurs de la Coupole
Votaient, d’après leur protocole.

Car beaucoup n’avaient pas compris
Qu’ils s’agissait de beaux esprits
Scientifiques et littéraires,
Mais plutôt de quelques « vieux frères »
A nommer. Aussi, vous pensez
Ce que pouvaient bien êtres ces
Académiciens quarante
Élus par la foule ignorante,
Ils n’étaient bons, en vérité,
Qu’à faire d’âpres députés.
Et dès leur première séance
Éclata leur incompétence.
Ayant appris que leur devoir
Était de s’entre-recevoir,
De se faire des discours mornes
Où l’un et l’autre se flagorne,
Où même se débine un peu.
Ils essayèrent de franc jeu.
Mais voilà qu’un mot téméraire
Dit par l’un d’eux à son confrère
Déchaîna celui-ci. Dès lors
Comme un cheval qui prend le mors,
On vit se ruer chaque membre.
L'un sur l’autre, comme à la Chambre.
Sur quarante, il en mourut vingt.


Enfin, la police survint,
Et mena le reste à la boîte.
La Coupole redevint coite.
« Ma foi, se dit-on, en haut lieu -
« Il faut attendre un Richelieu. »



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français

22.03.1903

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

magnifique fabuliste, écrivain, auteur etc.... apparemment il s'en moquerait ...touche à tout de génie ... spirituel , finesse, peu de chose à lui apprendre . C'est vraiment du très bon.