18 janv. 2008

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POUR LES VICTIMES DE L’IENA

Il s’agissait, en vérité,
D’une fête de charité ;
De ramasser quelques centimes
Pour les survivantes victimes
De l’Iéna que vous savez,
Un de nos beaux vaisseaux crevés.

Les Parigots sont charitables,
Ils abandonnent volontiers
Quelques miettes de leurs tables,
Surtout s’ils sont rassasiés.
Mais, que si vous voulez en extraire
Le moindre argent de ces gars-là,
Faut auparavant les distraire
Par quelque sorte de gala.

Notre grande tragédienne
S’est donc dit : « Qu’à cela ne tienne,
Pour exciter leur charité,
Je m’en vais leur donner l’exemple,
Et leur offrir un spectacle ample
Qui vaudra par sa rareté. »
C’est alors qu’elle mit en scène
Un beau drame de sa façon,
Dont ils n’avaient aucun soupçon,
Afin qu’ils en eussent l’étrenne.
- C’est là le geste de souveraine -
Puis, afin de le bien monter,
Elle dépensa sans compter
Son argent, son temps et sa peine ;
C’est-à-dire qu’à ce jeu-là
Pour elle nul profit, toute perte.
Enfin, lorsque tout bien alla,
A nos amateurs de « gala »
Elle dit : La caisse est ouverte.
La place est de vingt francs, c’est peu…
Mais on peut donner ce qu’on veut.
Puisque c’est pour de pauvres diables,
On peut se montrer pitoyable.
»
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Au jour dit, en moins d'un clin d’œil,
Baignoires, loges et fauteuils
Et les premières galeries,
Et les deuxièmes galeries
Furent fort élégamment pris
Par ce qu’on nomme Tout-Paris ;
C’est-à-dire d’illustrissimes
Seigneurs, des banquiers Roldschissimes,
Des êtres dont les revenus
Dépassent les chiffres connus ;
Cependant que des populaces
S’arrachaient les petites places…


Et la représentation
Eut lieu. Ce fut l’ovation
Pour l’auteur, l’artiste et la femme
Qui se livrait là, corps et âme.


Si l’on songe au triple intérêt
Qu’offrait ce merveilleux spectacle,
On peut dire - n’est-il pas vrai , -
La recette tint du miracle ;
Puisqu’on avait le loisir
De payer… selon son plaisir…


Et bien, sachez que la recette
Ne fut que de vingt mille francs !
De quoi remplir une chaussette,
Tout au plus. Chiffres délirants
Lorsqu’on songe à ces fortunes
Que tous les riches réunis là
Représentaient à ce gala.
C’est, par tête, à peu près deux thunes !
Non, voyez-vous - c’est insolent.
Que voulez-vous que je vous dise ?…
C’est à faire dans sa chemise,
A faire pisser un merlan.
Si l’on veut trancher le problème,
Bien sûr que Sarah elle-même,
A elle seule a plus fourni
Que tout ce monde réuni.

RAOUL PONCHON
le Courrier Français
14 mars 1907
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