18 janv. 2008

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Si je meurs, que l'on l'enterre
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Delorme, je vous assure,
Je vous jure
Que l’on n’a pas enterré
Suffisamment ce vieil Ixe,
Ce prolixe
De Montépin. Non, bien vrai,
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Un aussi haut personnage,
Un otage
D’un mètre quatre-vingt-dix
Méritait une autre glose,
Moins sans prose
Qu’un sage de profundis.

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Pourtant, nous le conduisîmes
Le suivîmes,
Tous les deux frais et dispo,
A sa demeure dernière,
Sans bannière
Et sans crêpe à nos chapeaux.

Près du corbillard quelconque,
Nulle conque
Par des taratantaras
Ne signala le grand homme.
Ah ! Dieu ! comme
Nous nous montrâmes ingrats.

Seul ne sais quel gendelettre
Sur le maître
Son désespoir exhala.
Encore ce gendelettre
Devait être
De service ce jour-là.


Réparons cette injustice,
Mon complice,
S’il n’est pas déjà trop tard :
Couvrons-le de fleurs, de palmes,
Et de psalmes
Sur un rythme de Ronsard.

Voici des mufliers mornes
Et bicornes
Pour ce contempteur d’Hugo ;
Les divins lys et les roses
Demi-closes
Lui donnaient le vertigo.

Et voici d’âpres orties
Assorties
Aux pissenlits des fortifs,
Car c’est là qu’il menait paître,
Le cher maître,
Ses rêves superlatifs.

Voici des chiendents blêmes,
Purs emblèmes
Des livres qu’il a vécus,
Des centaines de volumes
Que nous lûmes
- Autant dire - avec nos
culs.

Voici des pariétaires
Pestifères
Pour rappeler les lieux sûrs
Où nous dûmes à sa prose
- Cas morose -
Quelques services obscurs.



Voici des fleurs de ténèbres,
De funèbres
Népenthès, de noirs pavots…
Pour avoir, en son intense
Existence
Endormi que des cerveaux !

…Des trognons de choux, des bottes
De carottes
Et quelques peaux de lapin…
Sache ainsi le cas énorme,
O Delorme !
Que je fais de Tontépin.


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RAOUL PONCHON
le Courrier Français
18 mai 1902
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