18 janv. 2008

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LE TUNNEL SOUS LA MANCHE
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Ah ! que jamais il ne s’emmanche
Ce fameux tunnel sous la Manche !

On dit le souhaiter. Qui, on ?
C’est cette perfide Albion,

Qui, devant tout autre flirtage,
Y trouverait son avantage,

Étant donné « Dieu et son droit »
Qui, chez elle, sont à l’étroit.

Mais pour nous autres, gens de France,
Ce serait de l’incohérence,

A moins, c’est à se demander,
Que nous voulions nous suicider.

La France ne pourrait qu’y perdre.
Et c’est pourquoi je dis : Ah ! merdre !

Non. Je ne vois pas ce tunnel
Si parfaitement fraternel,

Qu’il puisse desservir la Gaule
Et l’Angleterre à tour de rôle.

Il est bien entendu que nous
Ne bougeons guère de chez nous.

A part les nôtres territoires,
Tous nous paraissent transitoires.


Nous n’en sommes pas curieux.
Nous croyons qu’en France, c’est mieux.

Avons-nous tort ? c’est bien possible.
En tout cas, c’est fort admissible.

Car de fait, notre patelin
N’est pas tant autrement vilain.

Et puis c’est notre caractère.
Quand nous allons en Angleterre,

Ce n’est que pour y faire un tour
Avec un billet de retour.

Tandis que ces Anglais perfides,
Ni plus ni moins que des Sylphides,

Se déplacent fort aisément.
Notre ciel étant plus clément

Que le leur, c’est par théories
Qu’ils nous viennent, et par séries,

Ils grouillent sur leurs paquebots
Des étraves aux étambots.


D’aucuns nous viennent à la nage
Qui trouvent trop cher le voyage.



Voyez nos côtes ! Les Anglais
Y sont plus drus que les galets ;

Et Paris, qui les émoustille
Ils l’ont pris comme une Bastille.


Si le dit tunnel avait lieu,
Ah ! Mes enfants ! Ah ! Nom de Dieu !


Non, mais croyez vous sous la Manche
Ce raffut - surtout le Dimanche !

Car le Dimanche, tatigué !
N’ayant rien chez eux de bien gai,


Ils nous arriveraient en foule,
C’est à donner la chair de poule.


Albion toute passant l’eau !
Je n’y veux songer. Quel tableau !

On ne saurait plus où la mettre.
Elle serait tôt notre maître.


Nous n’aurions plus qu’à fuir ailleurs,
En attendant des temps meilleurs.


Au surplus, c’est bien son idée,
Et la question est vidée.




RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
10 janv. 1907

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