24 janv. 2008

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LES ROIS DE LA VIANDE
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Il était une cité dolente
Plus atroce et plus affolante
Que celle décrite par Dante.

Là, sans trêve, le jour, la nuit,
Un nombreux bétail est conduit,
Et mécaniquement détruit.


(A quoi sert que l’homme s’échine
Puisque nous avons la machine ?
C’est bon pour cette vieille Chine).

Là donc dans cette ville enfer,
D’âpres mécaniques en fer
Rompent les os, taillent la chair,


C’est précis, c’est mathématique,
Et combien de fois plus pratique
Que l’ancienne façon gothique.

Mais quoi ! Ne croyez pas ici
Que ce soit un bétail choisi,
Que l’on vous va réduire ainsi.


On travaille de même sorte
La pécore vivante ou morte
A nos « meatpackers » il n’importe.

Ils ne sont point tant scrupuleux.
Les bœufs les plus tuberculeux,
Les moutons et les porcs galeux


Ont tous une valeur marchande
Dont ces messieurs, rois de la viande
Tireront le beau dividende.

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*... *

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Toutes ces têtes et ces troncs,
Et ces pattes dans des chaudrons,
Sont mis par des cuisiniers prompts.

Les chairs blafardes et blêmies
Reprennent leurs physionomies
Par de détestables chimies.

Parfois aussi, dans ces charniers,
Des rats se trouvent prisonniers.
Quoi ça peut foutre aux cuisiniers ?

D’ailleurs la consigne est formelle,
Tout va dans la même gamelle.
Parfois, eux-mêmes pêle-mêle


Se laissent choir dans un chaudron.
Ne croyez pas que le patron,
Pour ce, sa cuisine interrompt.

Car dans ces marmites du diantre
Rien ne sort de ce qu’il y entre.
Comme di l’autre, tout a fait ventre.


Quand tout ce fricot est fini,
Ce n’est pas encore fini.
Va-t-on l’envoyer au chenil ?


Non. De petites mains adroites
Vous l’introduisent dans des boites
Superlatives, adéquates ;


Et c’est-ce caca comprimé
Que nous mangeons au premier mai
Quand notre boucher est fermé.



RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
21 juin 1906

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