25 janv. 2008

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Les Gitanes et leur capitan
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La danse du derrière
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Royale arrière-garde aux combats du plaisir

(Paul Verlaine)


Muse, je tiens de tes cheveux,
Va ! je veux,
Malgré mes cent rhumatismes,
Te suivre comme un toutou,
Voir tout, tout
Ce qu’a Paris d’exotismes.

Si pour me faire tout voir
Et savoir
Tu veux te mettre en dépense,
Tu auras, n’en doute pas,
Dans tes bas
Ta petite récompense.

A peine je dis cela,
Et voilà
Qu’à l’aide du Decauville
J’allai de l’Esplanade à
Grenada,
Si ce n’est pas à Séville.


Un placard m’y frappe fort
Tout d’abord :
- Ici l’on voit les Gitanes
Avecque leur capitan, -
Fier Gitan
Avecque ses capitanes.

Soit, ma muse, entrons ici :
Ce lieu-ci
Rappelle peu Batignolles
Et l’Espagne qu’on y voit
M’apparoît
Suffisamment espagnole.


Des culs jeunes ou rassis
Sont assis
En cercle, pour la parade :
Je me demande : Qui sait ?
Si Sarcey
N’est pas là sur cette estrade ?


Il y est ; j’entends sa voix,
Je le vois,
Même il porte des lunettes :
On dirait le gros tonneau
- O tableau !
-Assis sur deux clarinettes.


Ces derrières cuivrés,
Mordorés ;
Ils ont des lèvres de fraises,
Et des yeux lançant des feux
Comme ceux
D’un chat qui fait dans les braises

Quant à leur costume fou,
Archifou,
Il est composé de frusques
Que l’on ne peut concevoir ;
Faut les voir,
On ne sait où ça va jusques ?

Ce ne sont que bleus pervers,
Jaunes, verts
Qui se donnent en spectacle,
Et rouges audacieux
Que les yeux
N’endurent que par miracle.


On a mis le capitan
Au milan :
Tel un coq parmi ses poules,
Et l’on voit par son maintien
Qu’il y tient
Comme un rocher à ses moules.


*
*... *


Mais le premier cul - ollé !
Danse - ollé -
En jouant des castagnettes,
Tandis qu’un tas de vieillards
Frétillards
Le pompent de leur lorgnette.

Ses amis, les autres culs,
Vrais cocus,
Frappent dans leurs mains et poussent
Des cris à fendre du bois ;
Quelquefois
Sur leur chaise ils se trémoussent.


Le danseur se donne un mal
De cheval,
Tel qu’enfin, de guerre lasse,
Quand il s’est bien éreinté,
Esquinté,
Il va rejoindre sa place.

Il s’effondre sur son banc,
Succombant,
Pèle une orange et la chique,
Cependant que le voisin,
Son cousin
Reprend la danse bachique.


Se succèdent les tangos,
Fandangos,
Les jotas, les séguedilles ;
Chaque derrière se tord,
Se détord
Comme font les nœuds d’anguilles.


Le derrière Mercédès
Fait florès
Par sa manière piquante ;
Soledad ne manque pas
Dans ses pas
D’une grâce provocante,
Ceux nommés Carmencita,


Paquita,
Dépensent assez de verve
Et celui nommé Sarcey
Moins dressé,
Montre un peu plus de réserve.


Mais, c’est le nommé Pepa
Le papa
Des derrières, sans erreur ;
Oui, ce fol énergumène
Se démène
Avec bien plus de fureur.


Il est énorme et joufflu,
Lanturlu !
Et plus satisfait de vivre
Que ne le serait un mort
D’être mort,
Plus heureux qu’un ivrogne ivre.


Aussi bien, le capitan
Palpitant
D’amour et de convoitises,
Vient faire sa cour autour
Tout autour,
Et lui dire des bêtises.


Il est comme un enragé
En congé ;
Et l’on se dit : saperlotte !
Tout à l’heure, tu vas voir,
Son… mouchoir
Va sortir de sa culotte.


*
* ...*



Muse, merci, de m’avoir
Mené voir
Cette danse du derrière.
Celle du ventre… à côté,
Sans gaîté,
Est de la petite bière.




RAOUL PONCHON

Le Courrier Français

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