11 janv. 2008

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UN MIRACLE
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La science explique tout
(Berthelot)


Sur une interminable route
En ligne droite, sans feston,
Bonne pour le chauffeur sans doute,
Mais combien lente pour le piéton,

J’avais plus d’un kilomètre,
Sans rencontrer un cabaret :
Tu m’entends, Saint Amand, mon maître,
Qu’en dis-tu, son ami Faret ?

Autour de moi, - c’est bien ma veine,
Des plaines sentant le roussi,
Des champs de luzerne et d’avoine
Dont je n’avais aucun souci.

Devant mes deux yeux presbyte,
Pas un toit, pas une maison.
C’est ici que le Diable habite,
Pensais-je avec quelque raison.
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Enfin, pour comble de disgrâce,
Je voyais au loin des rustauds
Qui tracassaient la vigne grasse
Et vendangeaient sur les coteaux.


J’étais à prendre avec la pelle
Tellement j’allais m’affaissant,
Quand, j’aperçus une chapelle,
Dédiée au grand Saint Vincent.

Vers sa statuette rustique,
Courbant le plus chauve des fronts,
Je lui dis d’une voix mystique :
« O bon patron des vignerons !


« Vois-tu pas du haut de ta gloire
Que je cours le plus grand danger,
Que je ne trouve rien à boire,
Encore moins à vendanger ?


« Tire-moi de cette pépie,
Fais un miracle en ma faveur,
Et tu feras une œuvre pie,
Et tu connaîtras ma ferveur. »


Alors, voilà bien le prodige.
Le saint me tendit un flacon,
Je l’ai vu de mes yeux, vous dis-je -
Un flacon de vin rubicond.


Ce vin, vous devez bien comprendre,
Etait un vin frais et rieur ;
Je n’en pouvais pas moins attendre
D’un saint aussi supérieur.

*
* ...*


Comme je contais ce miracle
A quelques jours de là, voici
Qu’un méchant savant, un oracle,
Me dit en résumé ceci :


« Tu sauras, ô pochard insigne !
Qu’en nos pays, c’est un devoir
D’offrir au patron de la Vigne
Le premier vin hors du pressoir…



« Ainsi, tu vois cette bouteille
Que tu bis comme un innocent
Apprends que c’est moi qui, la veille,
L’avait offerte à Saint-Vincent. »

J’en devins bleu, j’en devins mauve,
Vous voyez d’ici le tableau
Moi qui crois à la foi qui sauve
Encore plus qu’à Berthelot !


N’importe. Pour moi, pauvre poire,
Le miracle eut lieu néanmoins,
Puisque j ‘avais eu de quoi boire
Quand je m’y attendais le moins.




RAOUL PONCHON

le Journal
26 sept. 1904
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