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Je te nomme, tu es élue
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Je sais tous les secrets des plantes et des eaux.
La feuille dentelée et le bruit de la source
Sont entrés dans mon cœur aux merveilleux réseaux.
Mon cœur est plein de joie et de bonnes ressources
Comtesse Mathieu de Noailles *
(l’ombre des jours)
Attentive aux travaux des champs et des maisons,
J’ai marqué chaque jour la forme des saisons,
Parce que l’eau, la terre et la montante flamme
En nul endroit ne sont si belles qu’en mon âme…
(id°)
Cet autre matin, dès l’aurore,
J’achetai leur « Officiel »
Pour y lire ton nom sonore,
Victorieux, essentiel.
Il n’y était pas. C’est le dire
Combien je regrette mon sou.
Pourtant sur leur liste en délire
Il y avait un monde fou ;
Des signataires téméraires
D’ouvrages qu’ils n’ont jamais lus,
Des entrepreneurs littéraires
A tout faire si ce n’est plus ;
De hardis comptenteurs de Scribe,
Scribant encor plus mal que lui ;
Des professeurs de caraïbe
Et des distillateurs d’ennui…
Et toi, ils ne t’ont pas choisie.
Ah ! les cochons ! les galapiats !
Il est vrai que la Poésie
Est pour eux un charabias.
J’eusse tant aimé, ô Noailles,
Voir ce petit bout de ruban
Palpiter sur tes nichonailles
Comme un coquelicot pimpant !
Mais quoi !… c’est leur vouloir des ailes !
Demander ce geste élégant
A ces… messieurs entre deux selles,
C’est aussi de l’extravagant.
Aussi bien, nous t’avons élue,
Le reste est bien indifférent.
Dès l’instant que nous t’eûmes lue,
Nous t’avons mise au premier rang.
O fée ! ô princesse charmante,
Toi qui fais naître sous les pas,
Des fleurs dont la Lyre s’augmente,
Et que l’on ne soupçonnait pas.
Nous aimons tes vers adorables,
Tes poèmes ardents, soudains ;
Tu répands ton cœur innombrable
Sur les vergers, sur les jardins ;
Nous aimons ta joie attentive.
Et ton goût sans cesse éveillé,
Et ton âme sensitive,
Et ton visage émerveillé.
Fais-nous des poèmes encore,
Et, en attendant que les sourds
Entendent, et qu’on te décore,
Sois heureuse à l’ombre des jours.
Et quand ladite rouge manne
Tombera sur tes parchemins,
Je me ferai tôt quadrumane
Pour applaudir des quatre mains.
RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
14 août 1904
* Anne de Noailles, malgré cet épisode, sera la première femme Commandeur de la Légion d'Honneur
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