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LES POIRES PRECIEUSES
LES POIRES PRECIEUSES
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Ce serait une erreur de croire
Que dans notre belle cité
Tout joaillier est une poire
Arrivée à maturité.
Pourtant, en matière marchande,
Il s’en rencontre parmi eux
D’une ingénuité si grande
Que l’on ne saurait trouver mieux.
Si, plus qu’en tout autre commerce,
On les voit en proie aux voleurs,
Je dis sans que je tergiverse
Qu’ils y mettent un peu du leur.
*
* ...*
Par exemple, une auto s’arrête
Devant un joaillier fameux.
Il en sort, portant haut la crête,
Une manière de gommeux.
A voir la façon dont il tranche,
Il a plutôt l’air d’un rasta,
Mais peut-être a-t-il « de la branche »
Et figure dans le Gotha…
Il voudrait pour sa fiancée,
Dit-il, quelque bijou de prix ;
Et rien qu’à sa seule pensée
Il roule des yeux attendris.
Le marchand, ravi de l’aubaine,
Ouvre ses écrins de velours,
Et c’est une flore soudaine
De perles et de joyaux lourds.
Et notre client perspicace
Les prend dans ses doigts familiers,
Mire les perles et tracasse
Les pendentifs et les colliers.
« Excusez ma longue visite,
Fait-il ; tant de chefs-d’œuvre aussi,
Vous comprenez, font qu’on hésite…
Dites-moi, combien celui-ci ? »
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« Ah ! Celui-ci ! Je vous le laisse
A quatre-vingt-dix mille francs.
C’est un vrai collier de déesse. »
« Parfait ! Dit l’autre, je le prends.
« C’est bien mon affaire. Mais comme
Sur moi, vous le devez penser,
Je n’ai pas une telle somme
Je cours, de ce pas, la chercher,
« A bientôt. Il faut que je parte
Ce soir par l’Orient Express.
Tenez, voici toujours ma carte :
Je suis le baron Périclès. »
*
* ...*
Et ce joaillier phénomène,
Hypnotisé par ce « bristol »,
Connaît au bout de la semaine
Qu’il fut victime d’un vol.
Il a mis en l’air la police,
Et par elle il apprend, hélas !
Que son baron en pain d ‘épice
N’est qu’un échappé de Mazas !
*
* ...*
O cambrioleurs frénétiques,
Qui faites des trous dans les murs,
Il est des moyens plus pratiques,
Comme vous voyez, et plus sûrs
De vous procurer des richesses :
Habillez-vous en grands seigneurs
En barons, sinon en duchesses,
Arborez quelque croix d’honneur,
Au besoin sur votre poitrine ;
Et puis, le susdit joaillier
Vous laissera dans ses vitrines
Tout à l’aise farfouiller.
RAOUL PONCHON
Le Journal
03 sept. 1909
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