16 déc. 2007

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A PROPOS DE LA STATUE
de
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE
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Dieu a créé le melon avec des côtes,
pour indiquer qu’il doit être mangé en famille.
BERNARDIN DE SAINT-PIERRE



Voici qu’on jette la pierre
A Bernardin de Saint-Pierre, *
Pour sa phrase du melon. *
Ils sont là de forts esthètes
Qui le couvrent d’épithètes
Rares, avec de l’aplomb !

Sa phrase est une bévue,
Une bêtise imprévue,
C’est évident. Et après ?…
C’est d’autant plus une faute
Qu’il est des melons sans côte,
Ni plus mauvais et moins frais.

De plus, où son erreur brille :
Pas besoin d’une famille
Sur un melon, dites-moi ?…
Pour le faire disparaître,
Il suffit seulement d’être
Deux : le melon et soi.



*
*
...
*


Pourquoi donc tous ces tapages ?
S’il laissa de belles pages,
Faut-il donc que l’on rature
Une pauvre créature,
Pour un lapsus calami ?

Parbleu ! Sans compter les nôtres
Vous en trouverez bien d’autres ;
Et même vous en feriez
Une cueillette infinie
Chez les hommes de génie,
Chez les meilleurs ouvriers.

Mais vous portâtes, j’espère,
Sur Bernardin de Saint-Pierre
Un jugement étourdi.
Il est digne de la flore
Des bons écrivains, encore
Qu’il ne soit pas du Midi.

Sans doute, il a des systèmes
Qui sont de purs stratagèmes ;
Parfois son renseignement
Est d’une audace elliptique,
Mais sa langue poétique
Lui donne de l’agrément.

Songez que le cher bonhomme
Fut un précurseur, en somme,
Et que personne avant lui
Ne peignit mieux la nature -
Dont notre littérature
Fait ses choux gras aujourd’hui.

Avant Chateaubriand même
Il y mit un art suprême ;
Et le grand J.J. Rousseau,
Votre généralissime,
Le tenait en haute estime.
Qu’en pensez-vous ? Quelque sot !…

N’est-il pas plus de génie,
En son Paul et Virginie
Que dans tels ou tels romans
De nos jours et d’aucuns maîtres,
Dont le défaut moindre est d’être
Infiniment assommants.

Songez, jeunes auteurs ivres,
Qu’il fut un des premiers livres
Qu’on vous mit entre les mains,
Dès que vous sûtes vos lettres…
Et vous le ferez, chers maîtres,
Lire encore à vos gamins.


*
* ...*


Et maintenant on te jette
Ton cantaloup à la tête. *
Si ce n’est dans ton jardin !
Et, de plus, on s’évertue
A démolir ta statue…
Ah ! mon pauvre Bernardin !


Va, ton méchant petit livre
Te fera longtemps survivre
Et l’on redira ton nom,
Alors que d’autres grands zèbres
Moisiront dans les ténèbres,
Fussent-ils au Panthéon.



RAOUL PONCHON

Le Journal
01 juillet 1907


2 commentaires:

Anonyme a dit…

moi je trouve que d'avoir écrit une phrase pareille mérite bien une statue....

Anonyme a dit…

Merci Ponchon, maintenant , chaque fois que je mangerai du melon, je penserai à ce cher Bernardin