25 nov. 2007

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Complainte de Vacher
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(Air de Fualdès)
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Écoutez, hommes et femmes,
Pantagouriches aussi,
Je vais vous conter ici
L’histoire d’un monstre infâme
Qui, pardessus le marché
Répond au nom de Vacher.

Vacher, dès sa prime enfance,
Était menteur et sournois,
Et témoignait maintes fois
D’une grossière insolence.
On lisait dans son regard
Ce qu’il deviendrait plus tard.

Ses parents, pour s’en défaire,
Et pour son instruction,
Le mirent en pension
Chez ce qu’on nomme des Frères ;
Il sortit plus vicieux
Bientôt de chez ces messieurs.

A peu près vers cette époque,
Il fut deux ans interné
Dans des maisons de santé
Comme éminemment loufoque.
Puis il fut déclaré sain
Par de savants médecins.

Plus tard, faisant l’exercice
Au régiment, on le voit ;
Il y tâte comme moi
De la salle de police,
Et quand il a son congé
Il se met à voyager.

Oui, cette sale vermine
Se fit alors chemineau,
Qui est un métier fort beau,
Car le chemineau chemine
Sans souci du lendemain,
Si l’on en croit Richepin.

Il allait dans les villages
Jouant de l’accordéon
Afin de gagner, dit-on,
L’argent de son boulottage.
Disons-le à son honneur,
Vacher n’est pas un voleur.


Mais, dès que par son absence
Il brillait, dans les fossés
On trouvait des trépassés ;
Fâcheuse coïncidence !
Pourtant, jamais un soupçon
Ne planait sur ce garçon.

Car, en effet, comment croire
Qu’un joueur d’accordéon
N’est pas un être très bon ?
Ce serait une autre histoire
Si ce maudit chemineau
Eût joué du piano.

Eh bien, c’était lui, le hère,
Qui se faisait un plaisir,
En ses moments de loisir,
D’assassiner des bergères,
Qu’elles gardassent ou non
Des vaches ou des moutons.

Non seulement ce sauvage
Les tuait et les rasait,
Mais encore il leur faisait
Subir les derniers outrages
Avant, quelquefois après,
Selon que ça lui disait.

Sa faute une fois commise,
Il prenait du savon noir
Et nettoyait son rasoir,
Et ses mains, et sa chemise.
Puis sans avoir l’air de rien,
Il reprenait son maintien.

Ainsi, ô spectacle unique !
Pendant des ans et des jours,
Assassinant tour à tour
Et jouant de la musique,
Vacher put aller, venir,
Sans que l’on pût le saisir.

Que faisaient donc les gendarmes,
Et ceux de la Sûreté ?
Dam’, sur tant d’atrocités
Ils versaient de grosses larmes,
Mais ils cherchaient dans le Var,
Quand l’autre était dans le Gard.


Le hasard leur vint en aide :
L’assassin, en août dernier
Étant en train de souiller
Une femme vieille et laide,
Un bonhomme l’aperçut
Et lui mit la main dessus.

Aujourd’hui, devant le juge,
Vacher, loin de les cacher,
Confesse tous ses péchés
Sans user de subterfuge.
« J’en ai tué vingt, pas moins,
Dit-il, Dieu m’en soit témoin ! »

Il ajoute : « Mais… en somme,
Je fus mordu autrefois,
Et, depuis, j’entends des voix
Qui me disent : Tue, assomme !
Je remplis ma fonction,
Qui est la destruction. »

O système déplorable
De défense ! Mais enfin,
Qui sait ? Ce musicien
Est-il oui ou non coupable ?
On pourrait le demander
A monsieur Scheurer-Kestner.
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RAOUL PONCHON
Le Journal
01 sept. 1897
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