27 nov. 2007

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On parle de supprimer les pontons à tous les débarcadères de la rive gauche.
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Hé ! messieurs de la droite rive,
Il faut que tout le monde vive.

Quoi ! parce que l’on va, dit-on,
Supprimer le dernier ponton
De notre pauvre rive gauche,
Vous plaisantez à qui mieux mieux.
Un peu de charité, messieurs !
Ne sommes-nous donc qu’une ébauche
De rive ? Et, si j’ai bien compris,
C’est vous seuls qui seriez Paris !…
Dirait-on pas, Dieu me pardonne !
Que vous suâtes la colonne,
Ou qu’on vous l’a donnée en prix !
Nous écraserez-vous sans cesse
De vos confort, luxe et richesse,
De vos monuments, boulevards,
Et de vos quartiers si flambards ?
Vous en parlez trop à votre aise.
Nous pouvons, ne vous en déplaise
Vous faire, et par devant témoins,
La pige sur pas mal de points.
Votre rive, belle fichaise !
Votre faubourg Saint-Honoré,
Par exemple, si rembourré
De confort et de luxe atroce
Où tant d’or se relève en bosse,
N’a pas le même « parchemin. »
Que notre faubourg saint-Germain.
Sans doute, vos Champs-Élysées
Sont admirables. Vos musées
Du Louvre ont droit à nos respects,
Sont pleins de chefs-d’œuvre, en effet
Inégalables, à tout prendre ;
Mais on croirait, à vous entendre,
Que c’est vous qui les avez faits !
Votre place de la Concorde
Est magnifique, je l’accorde ;
Encore que vous l’abîmiez
En faisant pousser les palmiers
Sur quelques-uns de ses immeubles.



Bientôt, on y verra des meubles !
Il me semble que quelques sots
Se pâment sur le parc Monceau.
Il est beau, certe, et je l’admire,
Bien que je ne m’en estomire.
Mais je dis que le Luxembourg
Est infiniment moins balourd.
Ne nous faites non plus d’histoires
Avec les « navets » de vos squares
Car, sous ce rapport, je crois bien,
Nous ne vous devons rien de rien.
Vous nous ressassez vos théâtres
Avec ça qu’ils sont si folâtres,
Vos théâtres ! Notre Odéon
Me parait, en tout cas, idoine
A les manger tous, sous Antoine,
Ce directeur caméléon.
Que si vous n’aviez pas la Butte
Pour distraire un temps votre… nuit.
Vous auriez tôt fait la culbute
Dans le plus insondable ennui.
Vos monuments sont bien plus ternes
Que les nôtres, et plus modernes,
Ou si voulez, cependant,
Ils se peuvent faire pendant.
Peu nous chaut de votre Obélisque,
Dont vous faites votre Dieu, puisque
Nous possédons la tour Eiffel
Qui s’érige jusques au ciel !
Nos églises sont aussi belles
Que les vôtres, et moins nouvelles,
Et d’un style autrement vainqueur,
Y compris votre Sacré-Cœur.
Vous avez le Conservatoire,
Mais nous avons l’Observatoire,
Où l’on découvre, à tout moment,
Plus d’étoiles, certainement,
Outre que l’on y sait mieux l’heure
Qu’à votre Bourse, - ou je me leurre.

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La rive droite est, tout compris,
Et je vous le dis sans mépris,
Excellente pour la débauche ;
Mais le vrai cerveau de Paris
Se trouve sur la rive gauche.
Guerriers, poètes ou savants,
Sont ici soit morts, soit vivants :
Parmi les morts les plus solides,
C’est ainsi que nos Invalides
S’illustrent de Napoléon,
Et d’Hugo notre Panthéon !
Et l’on nous en annonce d’autres.
Nos morts sont plus beaux que les vôtres.
Quant aux vivants, on sait encor
Que c’est ici leur vrai décor.
Outre notre jeunesse folle,
Avocats, médecins; quat’-z-arts,
Nous avons quarante lascars
De première, sous la Coupole, -
J’ose dire notre Coupole.
De même, - n’allons pas plus loin, -
Vous dirai-je, membre par membre,
Voilà qui vous en bouche un coin.




RAOUL PONCHON
Le Journal
17 fév. 1908

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