20 nov. 2007

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LA QUESTION DU POURBOIRE
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Les garçons de café réclament la suppression du pourboire.


Vous pouvez supprimer en France,
La vanité, l’intolérance,
L’art nouveau, le snob, le gibus,
L’espoir de reprendre l’Alsace,
Le besoin de paperasse,
La réclame, le prospectus…

Vous pouvez supprimer encore
L’amour du drapeau tricolore,
Le panache, la croix d’honneur
Et les palmes d’académie…
Le pourboire, n’y comptez mie ;
Il y aura toujours preneur.

Pourquoi, s’il vus plait ? Mon Dieu, parce
Que c’est la chose la plus farce,
Absurde, qui se puisse voir,
L’invention la plus gothique
Dont notre pays lunatique
Est le suprême réservoir.

Cependant, partent en croisade
Ces messieurs de la limonade.
Et moi qui les croyais ravis !
Ils ne veulent plus d’un pourboire
Humiliant et vexatoire…
Je ne suis pas de leur avis.


Vexatoire ! quelle folie !
C’est un pur contrat qui nous lie :
Ils me servent à boire ; et moi
Pour ce bon service, j’estime
Que je leur dois bien un décime.
Je ne comprends pas leur émoi?

Aux bons esprits, je m’en rapporte
S’il est un être, en quelque sorte,
Pour qui ce sort humiliant,
C’est pour le patron digne et grave
Qui ne paye pas ses esclaves,
Laissant ce loisir au client.

Je ne comprends pas non plus, du reste,
Pourquoi le tenancier proteste
Contre cette suppression
Dudit pourboire, puisque, en somme,
Il peut majorer ma consomme
Diminuer ma ration…


Le client, c’est la bonne poire,
Qui boit tout ce qu’on lui fait boire.
Que s’il exige du meilleur,
Nul patron n’attrape une entorse
A vouloir le garder de force,
Il n’a qu’à s’en aller ailleurs.

Pourquoi moi, client expiatoire,
Aux garçons en fait de pourboire,
Je donne plutôt plus que moins.
C’est là le fait d’un gentilhomme,
Mais aussi combien mon bonhomme
M’entoure de ses petits soins !

Il me prévient, il me devine,
Il me fait toujours bonne mine,
Il me traite en enfant gâté.
A part la fâcheuse nuance
Que quelquefois sa prévenance
Touche à l’obséquiosité.



Ainsi ; demandé-je une tasse
De café ? J’ai beau crier grâce !
Il me verse le « bain de pieds » ;
Si je veux un journal, il vole,
Et m’apporte
le Temps frivole,
Le plus encombrant des papiers…

Supprimez maintenant l’obole
Que je donne à ce bénévole,
Je ne lui serai plus de rien.
Je serai le monsieur quelconque,
Le client anonyme… adonc
Le pourboire, vous voyez bien,

Vaut assez pour qu’on le maintienne
Quoi qu’il arrive ou qu’il advienne,
Pour moi, j’en demeure coiffé.
Enfin, pour finir mon histoire,
Ceux qui crient contre le pourboire
N’ont qu’à n’aller point au café.


RAOUL PONCHON
Le Journal
17 nov. 1902




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