17 nov. 2007

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LE SOLEIL et LA LUNE
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Le Soleil, dans le principe,
Fumait tristement sa pipe
Au sein de l’immensité ;
Étant seul de son espèce -
Le Très-Haut, en sa sagesse,
L’ayant ainsi décidé.

Vers les horizons sans bornes
Il roulait des regards mornes,
Sans savoir où les poser.
C’était une meule avide
De broyer, tournant à vide…
Et personne à qui causer !…

Pourtant il se sentait ivre
Du désir d’aimer, de vivre.
Une âme de troubadour
Flambait sous sa rude écorce ;
Aussi bien, à bout de force,
Au Seigneur il dit un jour :

- « O toi, dans ton ciel d’ouate,
Qui n’es à gauche n’à droite,
Et non plus en bas qu’en haut,
Ni d’un côté ni de l’autre,
A ta barbe je me vautre ;
Rentre-moi dans le chaos,


« Ou, pour distraire mon bagne,
Donne-moi, quelque compagne.
Tu n’as qu’à bouger un cil…
Malgré ma philosophie,
Je ne puis passer ma vie
A contempler mon nombril. »

Alors le maître suprême
De l’heure, dans l’instant même,
Convaincu du cas urgent,
Suspendit , d’un fort beau geste,
La Lune au parvis céleste,
Comme une lampe d’argent.

Peu après, dit notre fable,
Le Soleil insatiable
Se lamentait de nouveau,
Disant : « Seigneur, cette Lune,
En vérité, n’est pas une
Compagne, comme il m’en faut.

« Cette soi-disant, nitouche
Se lève quand je me couche.
Je ne sais pas quel métier
Elle fait… Sa gueule blême
Se montre parfois quand même,
Mais seulement en quartier.


« Je la vois très peu de face.
Elle va fendant l’espace
Avec son maigre profil.
Ce n’est pas une famille
Pour moi, c’est une faucille.
Je ne puis étreindre un fil.

« Sa conduite est des plus louches,
Car, malgré que je ne couche
Jamais avec ce veau-là,
Croirais-tu que la vilaine
M’arrive à chaque instant pleine ?…
Je n’en veux plus, tra la la. »


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
19 janv. 1905

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