30 nov. 2007

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LE COUCOU
(CONTE POPULAIRE)
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Quand on entend chanter le coucou,
si on a de l’argent sur soi,
on en a pour toute l’année.
(Dicton populaire)

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Par un après-midi superbe
Du mois de mai, le mois des mois,
Deux amis devisaient sur l’herbe,
A la lisière d’un bois.

Tout à coup, pendant un silence,
Deux notes sur le ton mineur,
Deux notes sans équivalence,
D’une inexprimable douceur,

Enchantèrent la forêt toute.
Et l’un des deux, tendant le cou,
Dit à son camarade : « Écoute !
Entends-tu chanter le coucou ?

« Il fait bien dans le paysage,
Il le complète, dirait-on.
De plus, il est d’heureux présage
Pour moi, car j’en crois le dicton.

« Ainsi la chose est ordonnée,
Très probablement dans le ciel.
J’aurai, pendant toute l’année,
De l’argent, c’est essentiel. »

- Parbleu ! Tu me la bailles belle,
Fit l’autre. Et dis-moi donc pourquoi
Ce coucou, d(espèce nouvelle,
Chanterait pour toi, non pour moi ?

« Tu en parles bien à ton aise !
J’estime qu’il n’est pad douteux
Que cette volaille niaise
Dégoise son chant pour nous deux. »

- Non? Je ne veux pas de partage.
C’est à moi qu’il l’a dédié ;
Et n’insiste pas davantage,
Ou bien, tu verras, sacredié !…

- Mon cher, reprit le camarade,
Puisque tu le prends sur ce ton,
Le coucou, s’il n’est pas malade,
Chante pour moi seul. Aïe donc !
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* ...*


Et voilà nos deux imbéciles,
Qui, jusqu’alors, avaient été
Liés comme les Deux-Siciles
- Si j’ose dire, en aparté, -

Embarqués dans une querelle
Insipide, au lieu de jouir
Du soleil, de l’herbe nouvelle,
Du printemps, si vite à s’enfuir…


Après des mots et des injures,
Bientôt ils en vinrent aux coups,
Se faisant de pires blessures…
Et tout cela pour un coucou !…

*
* ...*



Or, quand, de cette lutte vile,
Ils furent las et mal en point,
Ils se retrouvèrent en ville,
Chez l’apothicaire du coin.

Et là, reprenant de plus belle,
Au bonhomme qui les pensait
Ils expliquèrent leur querelle
Pour savoir ce qu’il en pensait.

- Quelle extravagance est la vôtre !
Le coucou - sachez bien ceci -
N’était ni pour l’un ni pour l’autre.
Il chantait pour moi, Dieu merci !


« Encor que cela vous étonne,
Puisque aussi bien, mes pauvres gens,
Pour les bons soins que je vous donne,
Il me prédisait… votre argent ! »
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RAOUL PONCHON
Le Journal
26 nov. 1908


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