11 nov. 2007

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LA GREVE DES MUSICIENS
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La musique est le bruit qui coûte le plus cher.
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Les musiciens sont en grève. *
Avant de pleurer sur leur sort,
Écoutons leur plainte griève
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Pour une fois qu'ils sont d’accord.

Entendez-vous bugler les bugles ?
Les saxophones, les saxhorns ?
Ils font tant de bruit pour leur struggle
Que l’on voudrait fuir au Cap Horn.

Qu’est-ce qu’ils demandent, en somme ?
Tant par jour et par instrument.
Pardine, nous tous nous en sommes
Aussi là, malheureusement.

Ils touchent des trois francs cinquante
Par soirée, et ne trouvant pas
Cette somme assez éloquente,
Ils se révoltent de ce pas.

Ces musiciens de goguette
Exigent qu’il leur soit compté,
Le tambour - trois francs, par baguette,
Le triangle - deux, par côté,

La flûte un, par trou. Les cymbales
Jurent par le Dieu Abraham,
Qu’à moins de leur lâcher cinq balles
Elles vont faire du tambour.
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Le violon, violoncelle
Veulent dix francs. Le cor anglais
Tire encor plus sur la ficelle…
Insatiables, ces Anglais.


Pour se livrer à la bamboche,
La grosse caisse apprête un groom
Aux fins de tenir sa mailloche
Et continuer ses boum-boum.

Le piston veut un dividende,
Et quatre pour cent le hautbois.
On ne sait pas ce que demande -
Moi non plus - le chapeau chinois…


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* ...*


Vos prétentions, gent sonore,
Sont excessives - il parait -
Pour moi, profane, je l’ignore
Mais volontiers, je le croyais.

Non. Vous n’êtes pas raisonnables,
Musiciens de nos concerts,
Car les musiques sont coupables
Dont vous régalez nos desserts.

Trois francs cinquante, ô clarinette,
C’est à peu près ce que tu vaux ;
C’est payer de façon honnête
Ton nez enrhumé du cerveau.


Trois francs cinquante ! On en discute…
Pour faire son turlututu
Jeune flûtiste, sur ta flûte,
En tout grosse comme un fétu…

Quand vous sévissez, ô trombone !
Qui sait si je souffre des fois !
Piston des pioupious et des bonnes,
Tu me fais fuir dans un haut bois.

Non, croyez-moi, trois francs cinquante,
Par instrument, c’est bien. Et puis…
A la rigueur, que l’on augmente
Celui qui fait le plus de bruit…

Mais que dire du chef d’orchestre
Qui m’a plongé jusques ici
Dans un étonnement alpestre,
Va-t-il se mettre en grève aussi ?


Voudrait-il un sort plus prospère
Lui qui n’agite qu’un bâton
Dont il ne peut seulement faire
Le plus modeste mirliton !



RAOUL PONCHON
Le Journal
03 nov. 1902



(1) 1902 : " C'en est fait. En raison de l'altitude des directeurs de music-halls, de concerts et autres établissements, qui se refusent à reconnaître le Syndicat des musiciens et, par conséquent, à entrer en pourparlers avec ses membres, ces derniers ont voté la cessation du travail pour aujourd'hui midi." (Journaux)
Finalement, les directeurs de salle adhèreront aux conditions du Syndicat.
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