6 nov. 2007

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HENRI CLOUARD
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Drolatiques


La longue tradition de tous les bons poètes de notre terroir vivait en Raoul Ponchon. Il en avait fait sa chair et son sang. Ou plutôt il en était sorti tout armé de mètres et de rythmes. Il n’existait évidemment que par elle, mais il existait ferme et dru, solide petit bonhomme, excellent esprit, l’avant-dernier poète (si Derème est le dernier) qui ait su causer en vers, blaguer en vers, rire en vers.

Nullement bohème, a-t-on dit. En effet, né à la Roche-sur-Yon à l’époque où ce grand village s’appelait Napoléon Vendée, mais d’un père dauphinois, il a passé une moitié de sa vie à Paris dans la même chambre d’hôtel, dans les mêmes cafés, dans les mêmes errances. J’ajouterai qu’il a fourni pendant trente ans, Loret anacréontique, comme l’appelait le Goffie, sa gazette rimée hebdomadaire du Courrier Français et au Journal avec une ponctualité de fonctionnaire. Mais cela ne l’empêchera pas de rester notre unique flâneur de lettres, de ne publier en volume qu’une Muse au Cabaret (1920), et, enfin de mourir à l’hôpital entre les Fables de la Fontaine et l’Imitation de Jésus-Christ. Il n’a pas fait une carrière, comme tant d’autres de moindre valeur. On le voyait et devinait fort malin, mais malin pour les idées, malin pour les trouvailles de mots. Il s’est donc laissé étiqueter poète bachique, et certes il l’est, à la manière de cent poètes savoureux du temps de Racan et de Scarron ; mais il est plus et mieux. Il a chanté le vin, et ce vin qui lui paraissait échapper seul à la vanité universelle, a réchauffé pour le chant de l’actualité morale, psychologique, pittoresque, criminelle, politique, une inspiration faite de fantaisie et de bonhomie de bon sens et de logique naturelle.

A Moréas, il arriva de se découvrir frère de Ponchon. Car Ponchon lui aussi adorait les fleurs et les disait surnaturelles ; lui aussi, connaissant les nobles esprits du passé, tenait cette connaissance pour un « commencement vers le Bien » , lui aussi souffrait et tout ensemble souriait de la tragi-comédie où le jetait son âme acoquinée avec son corps :


Mon corps, ce monstre hideux,
Mon âme, cette marquise…


On comprend, après cela, que le poète de la rue Cujas, du Café de Cluny et du déjeuner Goncourt, soit aussi l’auteur des plus beaux, peut-être, des Noëls français. Qu’on voie en lui un témoin et un ami de cette tradition gauloise et française, villonesque et verlainienne qu’on redoute à chaque grande disparition de voir à jamais tarie. Et qu’on se dise qu’au paradis, où il est monté tout droit, comme à son dernier café, à sa dernière solitude, à son dernier refuge, des anges, en grande allégresse, lui ont offert un vin d’honneur.

HENRI CLOUARD

1947

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