6 oct. 2007

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MONSIEUR SCRIBE
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Que pensez-vous de Monsieur Scribe ?
Enquête du Figaro



O Scribe à cheveux plats ! Que la Scène était povre
Quand tu ne scribais pas encor !
Elle attendait quelqu'un qui lui vint du Hanovre,
L'appelant à cris et à cor.

Tandis, de leur côté, quelques affreux caciques,
des Etiennes et des Jouys
Tripatouillaient toujours dans les bourbiers classiques,
Avec des Viennets inouïs,

Hugo, Vigny, Musset, différant d'esthétique,
Epris d'un tout autre idéal,
Commençaient à mener la barque romantique
Vers un pays moins boréal.

Entre ces deux partis la lutte était épique.
Le théatre était un champ clos
Où de jeunes guerriers et de vieux as de pique
Se souffraient de l'encre à flots.

Si bien que le public perdu dans la tempête,
En proie à tous ces batailleurs,
Disait, ne sachant plus où donner de la tête :
" Messieurs, allez vous battre ailleurs. "

Tu parus, Scribe ! et tôt tu vis la scène à faire,
Sans attendre Monsieur Sarcey
Qui, en puissance dans les mollets de son père,
N'était pas alors commencé.

Tu vis, en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire,
Avec ton oeil de basilic,
Que le cothurne antique et la récente lyre
Laissaient en plan le bon public.

Entre le romantisme et le classique pire
Tu compris bien que le bourgeois
Demandait à grands cris ne fût-ce qu'un Shakespeare,
Mais un Shakespeare de son choix.


Alors tu pris Pégase et lui coupas les ailes,
Et tu l'attelas à ton char.
Et pour n'effrayer point les vieilles demoiselles,
Tu lui donnas le nom d'Oscar.

Alors, plus de repos pour lui ni pour son maître.
On vous vit tous deux, dans Paris,
De théatre en théatre, à l'heure, au taxamètre,
Porter des tas de manuscrits.

C'étaient de gais mélos, de sombres vaudevilles,
Ton talent savait, Dieu merci !
Faire rire ou pleurer les multitudes viles,
Comme les désarmer aussi.

Tu donnais parfois dans la grande comédie,
Dans le grand drame, et caetera...
Et pour faire bondir encor la prosodie,
C'étaient des livrets d'Opéra...

Et pendant cinquante ans que dura ton commerce,
Aussi bien chez les directeurs
Que dans ta caisse à toi, tu vis pleuvoir à verse
La fortune de dix auteurs.

Enfin, tel un banquier prudemment se retire,
Après une banque rasoir,
Ou bien, comme si tu n'avais rien à dire,
Un beau jour , tu nous dis bonsoir,

Eh bien ! bonsoir.


RAOUL PONCHON
le Journal
5 sept. 1904



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